L’école des bonnes mères

CHAN Jessamine, Éd. Buchet Chastel, 2024, 512 p.

Il y a dans ce roman dystopique un écho à Orwell et à Burgess. Si le « 1984 » du premier décrit un totalitarisme inspiré par le nazisme et le stalinisme, cette « Ecole des bonnes mères » prend ses sources dans une Amérique aux dérives parfois stupéfiantes et dans une protection de l’enfance anglosaxonne aux errements tout aussi hallucinants. Mais l’on retrouve aussi cette banalité du mal de « L’orange mécanique » d’Anthony Burgess, même si cette violence qui colonise en permanence la relation est chez Jessamine Chan, avant tout et surtout psychologique, sans d’ailleurs qu’elle soit pour autant moins insupportable.

Pour avoir laissé sa petite fille de 18 mois seule chez elle durant deux heures trente, Frida se la voit retirer par les services sociaux. Avant de décider ou non du retrait définitif de son autorité parentale, le juge familial lui propose un stage pour devenir une « bonne mère ». La description de l’internat où va séjourner Frida durant un an fait froid dans le dos. Des matrones taillées à la serpe, genre Super Nanny, qui savent tout, disent toujours la vérité et ne se trompent jamais ; un groupe de mères d’autant plus « volontaires » que l’inscription sur un registre de bannissement, en cas de démission, de fugue ou de renvoi, sera communiquée à leur employeur et leur voisinage, partout où elles iront vivre ; une culpabilisation permanente insistant sur la mauvaise nature qu’elles doivent contrer ; une vie de recluse, sans contacts avec l’extérieur autres que ceux dûment autorisés ou suspendus au bon gré de la direction ; un programme centré sur la rééducation de ce que doit être la « bonne » maternité ; une mise en situation permanente grâce à des … non, là je laisse la surprise au lecteur.

Sur plus de 500 pages, comment ne pas se sentir abasourdi, consterné, révolté, en se demandant à quelle étape du roman ces braves dames vont mettre le feu à tout ce Bazard ? Rien de tel pourtant. Mais le lecteur ne peut qu’enrager. A moins bien sûr, d’être un fervent partisan du retour à l’ordre et à la discipline de notre premier ministre qui pourrait bien s’inspirer de cette fiction. Après tout, après les internats de redressement pour les mineurs perturbateurs, à quand des centres rééducation pour les mères monoparentales n’ayant pu s’empêcher leurs enfants de se mêler aux émeutes de l’été 2023 ?

Enfin bref, ce récit est littéralement glaçant. Certes, la caricature offre certains détails tout à fait surréalistes. Comme cette vidéo omniprésente, installée dans l’appartement de Frida ou enclenchée lors des rendez-vous et visites protégées avec sa fille en présence d’une soi-disant « assistante sociale », véritable cerbère/garde-chiourne dénué d’un début de commencement d’empathie. Tout doit être filmé comme autant de preuves à analyser en détail ultérieurement pour démontrer la perversité de cette mère. Ou bien ce formatage d’une attitude parentale censée être déconstruite afin de s’aligner sur un modèle rigide et dogmatique, à l’image de ce câlin ne devant pas dépasser trois secondes sous peine d’être accusée d’être fusionnelle. Mais, on ne peut faire l’économie d’une comparaison avec notre propre dispositif de protection de l’enfance…

On peut d’abord se rassurer en pouvant vérifier combien il est quand même bien éloigné de ce qui est décrit là. Aujourd’hui, il aurait même plutôt tendance à laisser des milliers de mineurs aux prises avec leurs familles maltraitantes plutôt que de les retirer à la moindre peccadille. Faut-il se réjouir de cette plus grande tolérance face aux imperfections ou se désoler de sa plus grande impuissance face aux dangers ? Ce roman n’est pourtant pas si éloigné des pratiques en vigueur en Grande-Bretagne où le risque de maltraitance est sanctionné avant même que celle-ci ne se manifeste, le retrait de l’enfant intervenant en prévention, comme l’a décrit Ken Loach dans « Ladybird ».

Mais, au-delà du secteur socio-éducatif qui concerne à peine 2 % d’une classe d’âge allant de la naissance aux 18 ans, ce récit est aussi symbolique de la pression qui pèse sur la fonction maternelle. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être cette « assez » bonne mère évoquée par Winnicott, mais il faut tendre vers la perfection. Il lui faudrait être totalement dévouée, adaptée et attentive à son enfant, la moindre défaillance démontrant son indignité, son inadéquation et sa faillite.