La parenté en question(s)
BEDIN Véronique et FOURNIER Martine (Sous la direction), Ed. Sciences Humaines, 2013, 235 p.
Quand les sciences humaines s’emparent de la question de la famille, on quitte l’univers des fantasmes et des idéologies, pour entrer dans celui de la réalité. L’ouvrage édité par la célèbre revue éponyme démontre que si toutes les sociétés ont énoncé des règles et des tabous concernant les unions sexuelles de ses membres, la procréation et l’éducation des enfants, il n’existe aucun archétype uniforme et absolu, mais plutôt une grande diversité de modèles. Les nombreuses façons de faire famille, auxquelles on assiste aujourd’hui ne sont pas l’exception mais sont le reflet de la variété que nous offrent l’histoire et la diversité ethnographique. Tout interdit moral relève non d’un donné de nature, mais d’une convention passée à un moment. Et le système familial n’échappe pas à cette construction culturelle. La prohibition de l’inceste ? Elle n’a rien d’universelle, les égyptiens épousant couramment leur sœur. La distinction entre parenté sociale et parenté biologique ? Bien des sociétés traditionnelles différenciaient celui qui engendrait, de celui qui élevait et de celui qui inscrivait l’enfant dans sa lignée, à l’image des structures matriliénaires où le personnage central est le frère de la mère. La différenciation entre engendrement et filiation ? Dans la tradition coutumière, il a toujours fallu plus de deux personnes pour faire un enfant. On y associait soit l’esprit d’un ancêtre, soit un Dieu. Les familles monoparentales ? Chez les Na, peuple d’agriculteurs de l’Himalaya, l’amant de la mère (le terme « père » n’existe pas) n’a aucun lien social, ni juridique avec l’enfant qu’il a procréé. Le mariage homosexuel ? Il a existé pendant des millénaires chez les Azandé qui, ne trouvant que difficilement à se marier avant 35 ans, épousaient des garçons plus jeunes qu’eux, la sœur de ces derniers prenant leur place, quand elles atteignaient l’âge convenable. Même si notre société contemporaine n’a donc rien inventé, elle offre néanmoins une mosaïque de modèles familiaux qui constituent un véritable paradis pour les ethnologues ! L’existence des familles PME (Père-Mère-Enfant), encore majoritairement représentées, côtoient les familles monoparentale, homosexuelle, recomposée, adoptive, par procréation assistée ou gestion par autrui, illustrant combien les fonctions de conception/mise au monde, de nourrissage, d’éducation et d’accompagnement vers l’âge adulte peuvent tout aussi bien être concentrées sur les mêmes personnes que se trouver dispersées. Quant au dicton voulant que la mère soit toujours certaine, il est remis en cause : qui est la « vraie » mère ? Celle qui fournit ses ovocytes ? Celle qui porte l’enfant ? Ou celle qui l’élève au quotidien ? On s’achemine vers une logique de parenté plurielle, additionnelle et complémentaire.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1128 ■ 28/11/2013