Paternités imposées. Un sujet tabou
PLARD Mary, Ed. Les liens qui libèrent, 2013, 203 p.
Depuis cinquante ans, le législateur n’a cessé de renforcer les droits des femmes sur leur maternité : libéralisation de la contraception et de l’avortement, lois contraignant les pères à assumer leurs responsabilités (saisie sur salaire en cas de pensions alimentaires non versées, peines de prison en cas d’abandon de famille). Les mères peuvent procéder à une insémination artificielle, accoucher sous x, remettre le bébé en vue d’adoption. Toutes ces mesures constituent un indéniable progrès, au regard de leur liberté. Par ailleurs, les magistrats ont eu à traiter des affaires judiciaires mettant en scène des femmes demandant à être inséminée par le sperme de leur mari décédé, à être indemnisée si elle perdait leur fœtus suite à un accident et même à se voir reconnu le préjudice de leur enfant né handicapé, à la suite d’une erreur médicale. Si le désir d’enfant chez la femme ou son refus d’en avoir est donc bien pris en compte, il n’en va pas de même pour les pères. Ni la loi, ni la morale ne leur reconnaissent la liberté de donner leur consentement à la paternité : pour eux, pas de droit d’abandon, ni d’interruption filiative. Une fois l’ovule fécondé, ils n’ont plus comme seule solution que d’assumer. Or, le statut de père ne se confond pas avec celui de géniteur. Mary Plard, avocate de profession, nous présente le cas de six pères piégés par une paternité non désirée. Sa première réaction a été celle qui vient à tout un chacun : ces hommes au sexe facile, succombant à la jouissance d’une étreinte ponctuelle n’ont qu’à en supporter les conséquences, la contraception masculine étant en vente libre. Leur légèreté et leur irresponsabilité ne méritent guère tant d’attention. Et pourtant, l’idée qu’un homme devienne père sans le vouloir, ni avoir de projet de vie affective ou familiale avec la femme qui porte son enfant, est apparue très vite à l’auteur comme inéquitable. Pour écarter toute accusation de nostalgie du patriarcat, elle décrit le parcours du combattant auquel elle a été, elle-même, confrontée pour s’imposer comme femme dans le milieu des avocats, ce qui n’a fait que renforcer ses convictions profondément féministes. C’est donc bien la dimension avant tout humaine de ces témoignages qui l’ont convaincue. Des avancées législatives récentes assoient de plus en plus la place des pères : tout prélèvement in utero nécessite l’accord des deux parents qui sont aussi consultés en cas d’avortement thérapeutique ou avant toute procréation médicalement assistée. Le ventre de la femme enceinte n’appartenant qu’à elle et la maternité étant un droit sacré, il n’est pas imaginable de donner le pouvoir aux hommes d’intervenir sur le choix d’une IVG. Pour autant, la question de leur place face à cette grossesse reste légitime, aussi dérangeante soit-elle.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1100 ■ 04/04/2013