Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens

R.V. JOULE et J.L. GEAUVOIS, PUF Grenoble, 1992, 229p.

Ne vous est-il jamais arrivé de vous emballer pour une paire de chaussures en promotion en vitrine ? Une fois entré dans le magasin, votre taille n'étant plus disponible, on vous propose un modèle aux qualités identiques quoiqu'un peu plus cher. Résultat, vous sortez avec un produit que vous n'auriez jamais acheté autrement. Et ce représentant qui commence par vous faire signer un certificat de bonne santé qui ne vous engage à rien. Une fois le document paraphé, vous voilà entraîné dans une spirale aboutissant à l'établissement d'un contrat d'assurance vie. Enfin, ce copain qui connaît de graves difficultés financières et qui vous demande de lui avancer 15 000 francs. Devant votre refus poli mais ferme, il vous demande au moins 500 francs que vous lui donnez immédiatement, trop heureux de vous en tirer à si bon compte.

Ces exemples de la vie courante qu'on pourrait multiplier à l'envie, font l'objet d'une étude méthodique et passionnante signée par deux psychologues sociaux de l'Université de Grenoble. Cette discipline expérimentale mal connue se penche ici sur les méthodes qui permettent d'obtenir quelque chose de quelqu'un.

Notre premier exemple recouvre la technique de "l'amorçage" : prise de décision à partir d'une information partielle qui entraîne une persévération d'une décision bien plus coûteuse. La deuxième illustration correspond au procédé dit de "pied-dans-la-porte" : il s'agit de faire précéder une requête coûteuse par une première bien moins coûteuse. Enfin, troisième attitude, celle liée à la "porte-au-nez" : le refus de la première requête prédispose à l'acceptation d'une seconde. Quels sont les ressorts de ces comportements ?

Il y a la notion d'escalade d'engagement : après avoir pris une première décision, on a naturellement tendance à la confirmer. Et puis, il y a l'acte qui nous attache à une décision bien plus que toute pensée ou désir. Enfin, le sentiment de concession réciproque nous piège inévitablement.

Dans tous les cas, l'impression de liberté dans la prise de décision ne peut que renforcer le comportement initial. Ce sont là des techniques de manipulation que toutes les formations commerciales enseignent. Mais, comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, tout un chacun emploie ces mêmes techniques. Car, pour obtenir quelque chose de quelqu'un, on a le choix entre le rapport de pouvoir, le moyen   de la conviction... ou la manipulation.

Savoir repérer ces techniques permet de mieux s'en défendre. L'ouvrage de Joule et Beauvois se propose justement d'éclairer la lanterne du néophyte. Fort bien écrit, truffé d'exemples pratiques et concrets, ce petit guide est d'une lecture tout à fait intéressante qu'on ne peut que recommander.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°274  ■ 22/09/1994