L’empathie au cœur du jeu social

TISSERON Serge, Albin Michel, 2010, 226 p.

La capacité d’empathie est inhérente à l’espèce humaine, même si ses membres gardent le contrôle de son utilisation. L’individu acquière progressivement l’aptitude à se préoccuper d’autrui : c’est vers quatre ans, que l’enfant réussit vraiment à se faire une idée de ce que l’autre pense ou ressent et qu’il arrive à se mettre à sa place. Mais, s’il ne s’agit que de percevoir un ressenti, on ne dépasse pas alors le stade de la contagion émotive. Celle-ci peut être partiellement inhibée, à l’image du tortionnaire qui se montre tout à tout à fait capable d’identifier l’état de son prisonnier, ne serait-ce que pour mesurer les effets et l’intensité de ses tortures, tout en mettant à distance l’humanité de celui-ci. De même, concevoir de la pitié ou de la commisération, c’est ne pas se sentir dans un rapport d’égalité. Considérer la personne handicapée, en évitant la condescendance, c’est reconnaître sa propre vulnérabilité et ainsi estimer qu’il y a quelque chose en elle qui est commun avec ce que l’on est, au plus profond de soi. L’empathie nécessite donc d’aller bien plus loin que ces premières réactions : éprouver, certes, la même émotion que l’autre, mais aussi et surtout en être affecté, au point de se transposer par l’imaginaire ce qu’il est en train de vivre. Établir une relation causale entre sa propre souffrance et celle d’autrui passe par trois dimensions. La première fait appel à la représentation cognitive et rationnelle : comprendre l’état psychique que l’on perçoit et tenter de l’expliquer. La seconde est émotionnelle : on est là dans la pure résonance affective, un individu réagissant en phase avec l’éprouvé d’autrui. La troisième s’exprime dans le concept de Lacan repris et approfondi par Serge Tisseron : l’extimité qui est cette capacité à découvrir des aspects inconnus de soi-même au travers de ce que l’autre nous transmet. Il est important d’avoir bénéficié soi-même d’empathie, pour être capable, à son tour, d’exprimer ce sentiment, envers les autres. D’où l’importance de favoriser, très tôt, l’altruisme chez les enfants. En privilégiant les interactions rassurantes à son égard, afin de développer tant son estime de soi, qu’une confiance équilibrée en lui-même et dans le monde qui l’entoure. Mais aussi, en lui enseignant l’aptitude à se mettre à la place des autres. Plus l’être humain s’éloigne de ce qu’il connaît, pour se rapprocher de ce qu’il ne connaît pas, plus sa sécurité psychique est mise à l’épreuve. Il peut établir un pont vers l’inconnu, en s’ouvrant à lui et cherchant à le découvrir. Mais, il peut être tenté, tout autant, par la volonté de maîtrise de ce qui échappe à sa compréhension immédiate et par l’emprise sur l’autre. C’est l’inverse de l’empathie et des comportements d’entraide et son plus farouche ennemi.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1016 ■ 28/04/2011