Dans les chaussures d’un autre - La psychothérapie: art de l’évidence

Bruno Bettelheim et Alvin Rosenfeld, Robert Laffont, 1995, 245 p.

Le dernier livre posthume de docteur B.

Au cours des six dernières années de sa vie, Bruno Bettelheim a animé aux côtés de son ami pédopsychiatre Alvin Rosenfeld, des séminaires ouverts aux psychothérapeutes jeunes ou inexpérimentés. Rendre compte de la richesse des échanges lors de ces sessions, n’était pas chose facile. Il fallut condenser et regrouper: les interlocuteurs des deux auteurs se sont transformés en personnages composites constitués à partir d’une quarantaine de professionnels. C’est ce dialogue qui est présenté ici, rédigé par Rosenfeld et revu par Bettelheim peu avant sa mort. D’aucuns considéreront cette parution posthume comme une sorte de testament. Et il est vrai qu’on retrouve bien dans cet ouvrage ce qui a constitué les fondements et la philosophie de la méthode et de l’enseignement de Bettelheim durant près de cinquante ans.

Approcher le patient avec humilité: ce qui compte ce n’est pas tant de donner les bonnes réponses que de poser les bonnes questions. S’identifier à son vécu  et à son point-de-vue: l’empathie constitue la seule façon de rentrer en résonance avec lui.

Exprimer de la bienveillance et de l’affection comme meilleure façon d’agir face aux enfants éprouvés: cela ne signifie pas exiger d’eux une conduite exemplaire mais leur garantir un bien-être sans condition.

Découvrir les raisons qui se dissimulent derrière les actes des patients, aussi étranges qu’ils  paraissent: on ne pourra jamais commencer à comprendre le comportement d’un individu si on ne part pas de l’hypothèse qu’il existe des motifs ou des mobiles à ses attitudes. Car celui-ci ne veut pas qu’on tolère ses actes. Il veut qu’on y réagisse. Si on ne le fait pas, il cherchera à aller plus loin.

Au travers de situations concrètes qui lui sont apportées par les participants, Docteur B nous livre ici son expérience, sa pratique et sa compréhension de la vie intérieure des enfants et des adultes. L’acuité de son questionnement a pu être vécu difficilement parfois. Il s’en expliquait en se référant à la dureté du métier de psychothérapeute: celles et ceux  qui ne sont pas prêts à un minium de remise en cause dans l’introspection ne devraient pas alors hésiter à se reconvertir.

Retenons, parmi toutes ces réflexions, celle concernant la consultation des dossiers des enfants avant le premier contact. « Ce que vous apprenez a priori d’une personne va influencer les observations que vous allez faire comme vos réactions ». Vous chercherez alors inconsciemment à confirmer ce que vous avez appris et puis vous serez moins curieux d’essayer de découvrir par vous-même son fonctionnement mental explique Docteur B qui conseille alors de se faire sa propre idée avant de consulter quelque information qui soit.

Arriver à se mettre dans les chaussures d’un autre, tel aura été le leitmotiv d’un penseur à la flamme duquel se seront allumés bien des gens.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°319  ■ 14/09/1995