Désamour

Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies…

Bernard LEMPERT, Seuil, 1994, 188 p.

Bernard Lempert côtoie la souffrance psychique de par son métier de psychothérapeute. Il nous propose ici le témoignage de son expérience.
Les premières pages sont superbes : elles abordent le sujet du livre : le désamour. Pour comprendre ce concept, il faut admettre la part d'inhumanité présente dans toute humanité et ses implications concrètes.
Le désamour n'est pas une simple absence d'amour, c'est une violence constante que non seulement l'enfant subit mais aussi et surtout intériorise au point de voir la victime relayer ses bourreaux dans un comportement auto-destructeur.
Cela commence dès la naissance à l'instant où le nourrisson loin d'être enveloppé par un regard aimant n'est accueilli qu'avec distance et méfiance. Qu'il est dur de grandir sous un regard hostile ! L'enfant est nourri, vêtu et soigné strictement sans ce supplément de douceur et de tendresse qui transforme le besoin en plaisir. L'estime de soi qu'il va alors développer le dévalorise et surtout le culpabilise. Ses parents ont raison dans leurs reproches. Il s'excuserait presque d'exister et de leur causer par sa simple existence tant de soucis. Chacune de ses erreurs est dramatisée pour réactiver sa faute initiale de vivre. La famille fait souffrir l'enfant et en plus, elle lui reproche cette souffrance ! Mais elle ne fait là le plus souvent qu'exprimer l'insatisfaction de sa demande à l'égard de ses propres parents : l'enfant est alors là pour colmater les brèches énormes de sa psyché.
Pour échapper au désamour, l'enfant va chercher des parents symboliques : que ce soit des personnes-substituts (voisin, cousin, éducateur ou assistante sociale) ou des représentations (le symbole est alors véritablement salvateur). Il s'agit en fait de trouver des relais aux figures affectives universelles présentes au fond de chacun.
Cette réalité n'est bien sûr pas nouvelle. On sait qu'en France, il faut remonter à simplement une dizaine d'années pour voir émerger les travaux/recherches et lois/dispositifs sur ce sujet.
Mais si l'on se penche sur les textes mythologiques (comme l'ancien testament) ou sur les contes de fées traditionnels, on constate un foisonnement de situations de maltraitance, voire d'inceste.
Bernard Lempert nous propose justement dans un commentaire précis et détaillé une analyse de ces textes en regard de ses propres convictions. C'est' ainsi qu'il nous livre sa lecture d'Abra­ham, de Blanche-neige, de Cendrillon et du Christ. En plus, il décrypte pour nous un certain nombre de rêves éveillés de ses patients.
Les amateurs de symboles et d'interprétations trouveront dans ces pages de quoi se régaler.
On est toutefois tenté de s'interroger sur certaines explications : "pourquoi donner à tel détail cette signification ?" suivi d'un inévitable : "et après tout pourquoi pas ?"
Irritant ou séduisant, satisfaisant ou frustrant, cet ouvrage vous comblera ou vous laissera sur votre faim : à vous de choisir.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°290  ■ 19/01/1994