Le complexe de Moïse. Paroles d’adoptés devenus adultes
DRORY Diane & FRÈRE Colette, Ed. De Boeck, 2011, 224 p.
Voilà un ouvrage écrit à deux voix qui provoque l’émotion. La tendresse, d’abord, à la lecture des quinze témoignages d’une humanité et d’une intensité admirablement rétranscrits par Colette Frère, journaliste soucieuse de retransmettre les ressentis, les nuances et la complexité des récits qui lui ont été faits. La colère, ensuite, à la lecture de Diane Drory, la psychanalyste de service qui, sans connaître ces quinze adoptés devenus adultes, ni les avoir le moins du monde rencontrés s’autorise à interpréter leur vécu. Mais, aurait-elle passé du temps avec eux, cela n’aurait sans doute rien changé, tant sa démarche consiste à utiliser le matériau humain qui lui est soumis pour plaquer le système conceptuel qu’elle a élaboré. « Méfions-nous en tant que professionnels de fixer nos avis sur une vision trop rigidifiée » affirme-t-elle pourtant p.116. Que n’a-t-elle appliqué ce précepte de prudence élémentaire à ses propres analyses ? Mais non, elle affirme ainsi que parler des origines provoque la souffrance et constitue une vérité difficile à dire et dure à entendre. Que les parents adoptants et enfants adoptés qui ont passé cette épreuve sereinement se méfient donc : ils ont alors profondément souffert sans le savoir. Tout comme cette jeune femme qui aafirme avoir bénéficié de résilience. Mais non, ce ne serait qu’une manière d’enfermer au fond d’elle-même son mal-être. Autre ineptie : changer le prénom de l’enfant serait le poignarder au cœur. Les milliers de personnes adoptées qui ignorent leur prénom d’origine doivent illico se sentir mal, à l’écoute de la prophétie de la nouvelle pythie de Delphes. Ne parlons pas de l’abandon qui constituerait une blessure à vie, aboutissant pour nombre d’adoptés à être tentés de voler, à un moment de leur vie. La raison ? Je vous le donne en mille : parce qu’ils pensent avoir été volés à leur parents d’origine ! Heureusement, l’auteur affirme page 205 : « rien n’est joué d’avance. On peut avoir certaines présomptions, mais jamais de certitudes ». Pourtant, des sentences péremptoires refermées sur elles-mêmes, Diane Drory ne cesse d’en proférer, confondant son intuition et des vérités révélées et universelles. Comme d’affirmer qu’à cinq mois, un bébé sait que son adoptante qui se fait appeler maman n’est pas sa mère. Pourquoi chroniquer cet ouvrage, si ce n’est que pour en dire du mal, s’interrogera le lecteur ? Peut-être pour dénoncer, une fois de plus, l’arrogance de ces psys qui prétendent expliquer chaque comportement et interpréter chaque acte. Au lieu de se placer dans une situation d’écoute qui nécessiterait d’être traversé par le doute et l’humilité, ils préfèrent pérorer et projeter sur autrui leurs fantasmes et leurs préjugés.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1086 ■ 13/12/2012