Droit d’asiles - Les hôpitaux psychiatriques de 1930 à 1950
Patrick LEMOINE, Odile Jacob, 1998, 329 p.
Psychiatre et chef de service à l’hôpital du Vinatier à Lyon, Patrick Lemoine revient ici sur le drame qui a vu, au cours de la seconde guerre mondiale, 40.000 malades mentaux mourir de faim, de froid et de misère dans les hôpitaux psychiatriques français. A la rigueur des hivers et aux défauts réels d’approvisionnement, il faut rajouter la ségrégation, l’idéologie nazie et l’eugénisme : nourrir les fous est un luxe de temps de paix !
Pour décrire cet épisode peu glorieux qui n’a jamais donné lieu à aucune commémoration, l’auteur a choisi le support du roman historique. Il nous plonge dans une superbe fresque qui couvre les années 30 et 40. Ce récit nous projette dans le monde terrifiant de l’asile d’il y a 50 ans à peine. Les malades sont regroupés dans des salles communes le jour, dans des dortoirs la nuit. Ils portent tous les mêmes vêtements remisés le soir dans un grand bac, et repris indistinctement le lendemain matin. Les journées passent pour les gardiens à nettoyer les déjections, séparer ceux et celles qui se battent et à punir les récalcitrants. Les paillasses des lits sont remplies de paille et sont changées quand elles sont souillées. Les escarres et les plaies sont nettoyés au vin aromatique. Les malades sont rasés et désinfectés pour éviter les poux. A leur arrivée, ils passent deux semaines de quarantaine, entièrement nus, attachés sur la paillasse d’une cellule. C’est pour les “ observer ” ( !) et envoyer ceux qui ne supportent pas dans le quartier des agités. La science des aliénistes n’a alors guère évolué depuis des années. Deux innovations toutefois, couronnés par un prix Nobel : l’inoculation du germe du paludisme (il semble alors que l’accès de fièvre qui en résulte puisse parfois guérir de la folie !) et l’électrochoc. A part cela ? Rien ! Les épileptiques et schizophrènes restent harnachés en permanence : camisole ou entrave les empêchent d’agresser les autres. Par contre, ce qui règne en maître, c’est l’hygiène : sols et murs (jusqu’à une hauteur de deux mètres) sont lavés à grande eau chaque jour. Les malades eux, sont régulièrement brossés et rincés au jet.
L’auteur, s’il nous fait entrer dans l’horreur, le fait d’une façon humaine en nous proposant l’itinéraire de deux infirmiers dont l’un se retrouvera dans l’univers concentrationnaire nazi (en y trouvant un parallèle avec son ancien travail) et l’autre assistera impuissante à l’extermination passive de centaines de patients. Un ouvrage à lire, absolument.
Jacques Trémintin – GAVROCHE ■ n°102 ■ nov-déc 1998