Enfermez-les tous ! Internements : le scandale de l’abus et de l’arbitraire en psychiatrie

Catherine DERIVERY et Philippe BERNARDET, Robert Laffont, 2002, 318 p.

Voilà un livre à lire de toute urgence. Il dénonce un de ces scandales dont la France a le secret. Héritage de l’ancien régime, un temps supprimé par la Révolution, puis rétabli par la loi de 1838, enfin confirmé par la loi de 1990, l’internement psychiatrique est, dans notre hexagone, du ressort de l’administration. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné notre pays 33 fois entre juillet et décembre 2000, stigmatisant des conditions attentatoires aux libertés individuelles des malades. Mais rien ne semble bouger. Pourtant, dès 1994, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommandait qu’aucun internement psychiatrique ne puisse se réaliser sans la décision d’un juge. Tous les autres pays ont fini par confier ce pouvoir soit à un magistrat soit à des organes mixtes indépendants de l’hôpital, de la police ou des autorités administratives, tous … sauf la France ! Comment cela se passe-t-il concrètement ? Les internements forcés interviennent soit par hospitalisation d’office qui constitue une mesure de sûreté (7.500 par an), soit par hospitalisation sur demande d’un tiers (famille, voisin, amis …) qui relève d’une contrainte de soins immédiats (44.000 en 1995). C’est le préfet qui prend cette décision. L’individu concerné est pris dans un engrenage implacable. Conduit de force dans une unité psychiatrique, il est à son arrivée abruti de neuroleptiques. S’il refuse d’avaler ces médicaments, on lui impose une injection. S’il essaie d’intenter un recours, il est taxé de délire paranoïaque ou de manie de persécution. S’il se révolte, il est placé en cellule d’isolement. Sa lutte contre le système qui l’écrase est souvent vaine : l’objectif premier n’est pas de le soigner, mais de gérer une situation en fonction d’exigences de sûreté et de protection de l’ordre public, ce qui implique, avant tout, de soumettre, contraindre, enfermer et discipliner. Il peut rester ainsi des semaines, voir des mois ou des années, suspendu au seul pronostic du médecin de l’établissement. En matière d’arbitraire, le record est tenu par l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP), établissement public ne disposant d’aucun statut (il ne relève même pas de l’hôpital public). Cette zone de non-droit absolue interne chaque année 2 à 3.000 personnes (plus que la police de britannique pour tout le Royaume uni !). Le citoyen qui y est retenu ne bénéficie même pas des garanties de la garde à vue. Les personnels (y compris les médecins) dépendent directement du préfet de police. La lecture de cet ouvrage fait froid dans le dos. Car l’arbitraire ne concerne pas seulement des délinquants (internés, illégalement pendant des années après leur sortie officielle de prison) ou de pauvres hères. Ni les procureurs, ni les riches héritières, pas plus que les universitaires ou les hommes politiques ne sont à l’abri.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°655  ■ 27/02/2003