Les habitants voyageurs. Chroniques de la folie en mouvement
CARPAYE Celia & BOULOUDNINE Raphaël, Ed. ESF, 2014, 143 p.
D'un côté une éducatrice spécialisée et un psychiatre. De l'autre, des malades mentaux bien repérés. Au milieu, un programme importé d'outre Atlantique, « housing first » traduit en français par l'expression « un chez soi d'abord », favorisant l'accès au logement pour tous. Le résultat, c'est un livre quand même un peu déjanté, non par une quelconque confusion de ses auteurs, mais par leur volonté de nous faite plonger dans le quotidien des troubles psychiatriques. On aurait pu avoir de savantes vignettes cliniques sur les épisodes de recrudescence d'un délire à mécanisme hallucinatoire et intuitif avec exaltation tymique et conduite à risque. Mais si « la psychiatrie s'apprend dans les livres, être en relation s'apprend loin des livres » (p.80). Celia Carpaye et de Raphaël Bouloudnine nous entraînent à la rencontre de la folie, de ses manies, de ses lubies et de ses extravagances. On vit, à leurs côtés le trouble, la déstabilisation, voire la panique qui s'emparent d'eux face à ces manifestations pour le moins étranges et décalées. On rit du cocasse de beaucoup des scènes décrites. Le sourire se fige face à la mort subite de certains ces malades, épuisés par la vie. On ressent le malaise vécu et décrit avec beaucoup de réalisme. C'est Suzanne qui croit reconnaître sa mère, chaque fois que s'affiche l'image d'un mannequin sur internet. C'est Fred parlant de son envie de voir sa famille qui refuse de le rencontrer. C'est Fernande passant son temps à remonter des bidons d'eau dans sa chambre au quatrième, n'ayant aucune confiance dans la pureté de l'eau arrivant à son étage. C'est Adam ou Bob, selon l'identité du moment, qui soigne Xiphrène (schizophrénie) par la psychologie. Humour, tendresse et poésie sont les registres utilisés ici pour décrire un suivi à domicile qui alterne avec l'hospitalisation à la demande d'un tiers.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1145 ■ 10/07/2014