Adèle & Henry
LÉPINE Christelle, Ed. d’un Monde à l’Autre, 2013, 77 p.
Qu’il est difficile de décrire le handicap psychique, sans tomber ni dans la stigmatisation méprisante ou la moquerie ironique, ni dans le diagnostic psychiatrique ou la préconisation thérapeutique. Christelle Lépine nous propose un récit d’une grande finesse qui tente, avec délicatesse, de nous faire comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête d’une personne atteinte d’une confusion certaine (euphémisme synonyme de « détraquée du ciboulot », telle que notre héroïne se reconnaît, elle-même). De l’improbable relation amoureuse entre Adèle et Henry, on ne connaîtra la fin, que dans les dernières pages. Épisode après épisode, Adèle égrène les faits marquants de son histoire d’amour, à qui veut bien l’entendre : la buraliste, la boulangère, la dame de la poste ou le contrôleur de la RATP… sans oublier les voyageurs de la ligne de métro qu’elle arpente, jour après jour, offrant à ses infortunés interlocuteurs, en même temps que ses confidences, des bonbons à la violette. Si la gêne envahit le commun des mortels, confronté au spectacle d’une telle rencontre, rien de tel dans ce livre. Tout au contraire : le lecteur ne pourra plus se retrouver dans un telle situation, sans repenser à Adèle. Car, sous le délire apparent percent la tendresse autant que la détresse, sous le besoin de se confier émergent le besoin de communiquer autant que la logorrhée, sous les propos tenus se déroulent le cheminement logique d’une pensée autant que l’incohérence d’un esprit perturbé. Et c’est bien cette ambivalence qui fait tout l’intérêt de ce petit roman. Douce, prévenante, attentive, Adèle nous livre sa souffrance, son errance mentale et ses dérives comme autant de tentatives pour survivre aux épreuves qu’elle a du affronter. Plonger dans sa folie nous permet de retrouver, derrière ses apparentes divagations, la proximité des soucis et des espoirs qui font des « fous » nos semblables en humanité.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1133 ■ 23/01/2014