Ces enfants qui tiennent le coup

Sous la direction de Boris Cyrulnik, Hommes et Perspectives, 1998, 120 p.

Nous avons tous rencontré ces situations étonnantes de fratrie partagée entre certains qui ont sombré sous la pression familiale et d’autres qui résistent et s’en sortent. Comment certains enfants arrivent-ils à se préserver quand leur milieu les agressent ? Certes, ils n’en sortent pas complètement indemnes, mais ils réussissent malgré tout à devenir des adultes à peu près équilibrés et épanouis. Et surtout,  ils ne s’inscrivent pas dans la reproduction sur leurs propres enfants des agressions subies. Pour comprendre ce phénomène, il faut se référer au concept de résilience que l’on peut définir comme la capacité à maintenir un processus normal de développement malgré des conditions difficiles d’existence. Qu’est-ce qui favorise cette qualité ? Le sens élevé da sa propre valeur, l’aptitude à se dégager et à mettre en perspective ce qu’il vit, un QI élevé et le  sens de l’humour, la capacité à établir un réseau de relations basé sur la mutualité et l’entraide sont autant de facteurs agissant chez l’individu dans le sens de la résistance aux violences vécues. Ce qui est en jeu c’est un processus complexe intégrant tant des éléments internes propres à l’individu qu’externes liés à son milieu. On sait depuis Bowlby l’importance du lien d’attachement comme gage de réactions ultérieure de l’enfant face aux aléas de la vie. On connaît aussi l’intérêt de l’environnement à l’âge adulte pour favoriser les défenses face aux traumatismes. Pour autant, on n’est pas spontanément résilient face à tout et à n’importe quoi. Aussi, est-il essentiel d’établir un espace d’auto-réflexion : mise en pensée, mise en cohérence, mise en récit du vécu de la souffrance afin de permettre la prise de distance d’avec elle, voire sa sublimation. Car si les situations gravement traumatisantes peuvent provoquer des atteintes psychiques irréversibles, elles peuvent aussi être à l’origine d’une étonnante créativité, à l’image de ces dizaines de personnalités qui ont en commun d’avoir été orphelins très jeunes de l’un ou des deux de leurs parents.

 La trajectoire de survie dans des conditions très défavorables ou l’impuissance dans des conditions apparemment favorables relèvent d’une complexe alchimie qui relèvent tout autant du bagage génétique et des traits de personnalité qu’à la culture familiale et sociale dans laquelle vit l’enfant.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL  ■ n°459  ■ 22/10/1998