Abus de faiblesse et autres manipulations
HIRIGOYEN Marie-France, Ed. JC Lattès, 2012, 285 p.
Dans un ouvrage bien plus descriptif qu’analytique, Marie-France Hirigoyen tente de distinguer où se termine l’influence normale et banale et où commence la manipulation perverse. Si la tentation de peser sur le comportement d’autrui est légitime, car inhérente aux interactions de l’espèce humaine, la volonté de l’instrumentaliser, en forçant son choix, peut relever de la mystification. Ce qui est en jeu, c’est bien le consentement que l’on peut définir comme la capacité à décider par soi-même et à agir conformément à sa réflexion, dès lors où on est libre (sans contraintes, ni chantage, ni menaces) et éclairé (choix en toute connaissance de cause). Mais, les décisions que chacun d’entre nous sommes amenés à prendre sont-elles toujours rationnelles et souveraines ? Sans avoir forcément recours à la psychanalyse qui suppose le poids d’un inconscient se faisant parfois particulièrement dominateur, l’on peut constater quotidiennement combien les émotions, l’histoire du sujet et les éléments de contexte pèsent fortement, eux aussi, sur l’orientation prise. Pour autant, il est des circonstances où l’imposture est au cœur de la relation : depuis le mythomane qui ne fait que blesser l’amour propre, jusqu’au pervers narcissique qui s’attaque à l’intégrité psychique, en passant par l’escroc qui vise surtout à s’approprier l’argent, les situations de manipulation sont nombreuses. Si influer n’est pas toujours négatif, quand l’autre est laissé au final libre de se déterminer, la dérive existe bien d’une relation d’emprise neutralisant tout désir propre, annulant l’altérité et réduisant l’autre au statut d’objet soumis. « Le charlatanisme est né, le jour où le premier fripon a rencontré le premier imbécile » ironisait avec cruauté Voltaire, mettant dos à dos abuseurs et abusés. Même s’il existe des porosités chez les victimes, propices à l’établissement d’un ascendant malsain (immaturité affective, difficulté dans la gestion de la vie pulsionnelle et du manque, failles dans l’estime de soi …), l’auteur considère que c’est bien plus l’habileté du manipulateur qui compte. Tout commence par la séduction qui joue sur l’affectif, pour neutraliser la lucidité et la résistance. Vient ensuite une pression qui ne vise qu’à s’emparer du psychisme de l’autre et de le placer sous dépendance. Décryptant plusieurs faits divers, Marie-France Hirigoyen décrit des manipulations visant tant des personnes âgées que les adeptes de secte ou des mineurs victimes du syndrome d’aliénation parentale. L’auteur présente le cadre législatif pénalisant l’abus de faiblesse, comme le signe de la prise de conscience d’une société qui, ayant bien trop renoncé aux interdits pulsionnels, n’a fait que galvaniser les tricheurs, les imposteurs et les falsificateurs.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1130 ■ 12/12/2013