Sommes-nous tous des psychologues?
LEYENS Jacques-Philippe et SCAILLET Nathalie, Ed. Mardaga, 2012 225 p.
Le rapport que tout un chacun entretient avec autrui est imprégné d’un mode de fonctionnement cognitif universel : se former une impression générale, à partir d’informations parcellaires ; se contenter des réponses les plus accessibles et les plus simples ; identifier un trait de caractère bien réel et en déduire d’autres qui lui sont traditionnellement associés ; naturaliser les valeurs de son groupe d’appartenance au détriment de celles des autres ; confirmer ses convictions en ne retenant que ce qui les renforce, plutôt que se soumettre aux vérifications qui risquent de les infirmer... « Les gens excellent à se leurrer eux-mêmes ». C’est ce que démontrent Jacques-Philippe Leyens et Nathalie Scaillet, dans un livre faisant une large place aux expérimentations et aux modèles théoriques issus de la psychosociologie. Ces mécanismes communicationnels, qui sont liés au besoin d’interagir avec ses pairs d’une manière continue, compétente et efficace, nécessitent de réduire la complexité de l’environnement en un monde conçu comme une structure élémentaire et remplie de significations qui, du fait des simplifications opérées, devient aisément explicable et prévisible. C’est pourquoi nous avons tendance à distinguer ce qui est invariant de ce qui est aléatoire, en privilégiant les traits stables, plutôt que les caractéristiques évolutives et en ne retenant que ce qui généralisable, au détriment de ce qui est spécifique. A la vision du processus suivi par un être humain dynamique et en constant mouvement, nous préférons souvent le trait d’un individu figé dans une réalité plus ou moins immuable. A la perception « incrémentaliste » de notre espèce qui privilégie son adaptation permanente, progressive et continue, nous adoptons fréquemment l’approche « entitéiste » qui s’attache à rechercher l’essence absolue et la substance éternelle qui la caractériserait. C’est ce que les auteurs appellent les « théories implicites de la personnalité » que nous projetons sur autrui, en nous appuyant sur des stéréotypes qui sont autant de catégories permettant de nous guider. La question n’est pas de fonctionner ou non avec des préjugés, mais de reconnaître et d’identifier ceux qui structurent inévitablement nos raisonnements et nos réactions, afin d’en tenir compte. Si les profanes adoptent spontanément ces mécanismes, il en va tout autant des experts que sont les psychologues qui y sont, eux aussi, soumis. Le problème, c’est qu’enrobant d’une prétention scientifique et objective le regard qu’ils portent sur la réalité et sur le gens, ils donnent à leurs propres stéréotypes une dimension de vérité révélée, à l’image de ces épisodes pourtant spécifiques de la vie d’une personne, devenant néanmoins le fondement de l’histoire de l’humanité.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1092 ■ 07/02/2013