Les nourritures affectives

Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies… "Les nourritures affectives "

Boris CYRULNIK, Odile Jacob, 1993. 244 p.

Boris Cyrulnik nous livre ici, dans le même style brillant de ses précédents ouvrages, ses réflexions sur l'affectivité comme force motrice essentielle du genre humain.
Etre de communication, l'homme entre en relation à travers tous ses sens (le regard qui transmet autant d'émotions que d'informations, l'olfactif ou le toucher), mais aussi grâce aux symboles que sont les poils (barbe, moustache, cheveux j ou les vêtements qui constituent un véritable discours non verbal. Etre sexué, la rencontre devient vitale pour l'homme. Mais celle-ci se fonde bien plus sur l'inconscient et les motifs psychosociaux : le "grand" (ou petit) amour  ne doit pas grand chose la plupart du temps au simple hasard. Produit de cette rencontre, l'embryon entre aussi en communication avec sa mère : il la goûte (déglutition du liquide amniotique) quand elle parle !
Exister, pour l'enfant qui va naître, c'est avant tout se sentir l'enfant de quelqu'un qui vous introduit dans la société des hommes.
Qu'il appartienne à celui qui l'a engendré, à celle qui l'a porté, à un peu des deux ou à un réseau bien plus large selon les cultures!, c'est par la connaissance de ses origines que l'enfant va structurer son temps
L'enfant est au confluent d'une union biologique, d'une alliance culturelle Il est façonné par la représentation qu'on a de lui, notamment en fonction de son sexe.
Ainsi ces Pygmées qui proposent le mythe  selon lequel les mères seraient incapables d'endormir les enfants. On peut assister alors à ces pères berçant leurs enfants !
Décidément, la relation à l'autre est bien l'un des fondements de l'humanité. Contrairement aux animaux, l'homme peut, accéder à la théorie et au mode de fonctionnement mental de l'autre. Mais il peut aussi la refuser en tombant alors dans une intolérance source de violence.
Parmi les horreurs possibles, il y a l'inceste mère/enfant si peu reconnu et si peu poursuivi en justice. La proximité quasi fusionnelle des premiers mois doit pouvoir être relativisée par le père sous peine de graves perturbations dans la structuration des émotions de l'enfant et dans son autonomisation.
La déparentalisation du père, son absence de plus en plus fréquente provoquent une véritable déritualisation de notre société, en grande partie responsable de l'émergence de la violence primitive.
L'inhibition du désir pour la mère, qui peut être provoquée par le confinement affectif, n'est-elle pas alors à l'origine de l'inhibition homosexuelle pour toutes les femmes ?
Que de sentiments enfouis dans notre mémoire qui, au crépuscule de la vie, peuvent ressurgir démontrant à nouveau le rôle des nourritures affectives comme constante qui nous poursuit jusqu'à  la tombe.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°272  ■ 08/09/1994