Fières d’être putes
NIKITA (Maîtresse) et SCHAFFAUSER Thierry, éditions l’Altiplano, 2007, 127 p
S’il m’a été donné de lire un ouvrage politiquement incorrect, ces dernières années, c’est bien celui-là ! Convenons qu’il n’est pas courant d’entendre proclamer que la prostitution pourrait être un moyen d’épanouissement et d’indépendance. Une provocation ? Pas seulement. Abreuvé, comme beaucoup de lecteurs, à la conviction que cette activité ne peut être synonyme que d’esclavage, j’ai d’abord parcouru ces pages avec un certain scepticisme. Puis la force de l’argumentaire m’a contraint à la réflexion. La position face à la prostitution est loin d’être unanime. On distingue les pays réglementaristes qui l’ont officialisée, la considérant comme un travail comme un autre (Allemagne, Belgique). A l’opposé, on trouve les prohibitionnistes qui l’interdisent et la pénalisent (Suède). Enfin, à moitié chemin, il y a la France qui a opté pour une position abolitionniste : tenter de faire disparaître la prostitution, en proposant une réinsertion aux prostitué(e)s, tout en réprimant durement les proxénètes. Face à cette réalité, il existe une discrimination largement partagée (que l’ouvrage désigne comme « putophobie ») qui s’appuie sur toute une série d’idées reçues. Ainsi, de la confusion systématique entre la prostitution contrainte (qui relève effectivement d’une forme d’asservissement) et celle qui correspond à un choix personnel (option qu’on refuse généralement de reconnaître). Il en va de même des prostitué(e)s qui n’apparaissent qu’en tant que victimes incapables de savoir ce qui est bon pour elles ou bien en tant que délinquant(e)s vecteurs de désordre et d’épidémie. Il est tout aussi courant de penser que la prostitution implique inévitablement le proxénétisme. Comme les personnes s’y adonnant ont forcément été violées dans leur enfance ou qu’elles portent nécessairement atteintes à leur dignité et à leur santé psychique. Toutes ces représentations enferment les prostitué(e)s dans une vision unique et réductrice, expliquent les auteurs : pourtant, entre l’esclave sexuelle qui n’a rien choisi et la call-girl qui vit dans le luxe, il y a une majorité de travailleurs (ses) du sexe pour qui le choix de ce travail est motivé diversement. « Nous ne vendons pas notre corps : nous nous en servons afin de rendre un service sexuel » (p58) proclament-ils. Pourquoi l’utilisation des son sexe pour vivre transformerait-il le (la) prostitué(e) en marchandise, là où les autres travailleurs ne feraient, eux, que vendre leur force de travail ? Le mouvement « Les Putes », regroupant des travailleuses et travailleurs du sexe, s’inspire de l’action des féministes et des homosexuels, portant les revendications et défendant les intérêts d’une nouvelle parole minoritaire : « les putophobes qui veulent abolir la prostitution sont comme les homophobes qui veulent guérir l’homosexualité » (p.82). Voilà un ouvrage polémique qui bouscule bien des certitudes.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°885 ■ 22/05/2008