En finir avec Eddy Bellegueule
LOUIS Édouard, Ed. Seuil, 2014, 220 p.
Il est des récits d’enfance qui sont emplis de la nostalgie d’un temps révolu. Celui que nous livre Édouard Louis n’en fait pas partie. « De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux » : c’est par cette phrase définitive que commence son roman. Mais, ici, point de plainte lancinante ou récurrente. Juste un regard brutal et sans concession sur un passé qui mit trop de temps à se terminer, avant de donner naissance à un présent bien plus prometteur. Issu d’une famille pauvre aux habitudes rudes et violentes, confronté à une scolarité qui fera de lui un perpétuel bouc émissaire, le jeune Eddy sent monter en lui une identité qui ne répond pas aux exigences de virilité qu’on attend de lui. Isolé parce qu’être l’ami d’un « pédé », c’est attirer sur soi la même stigmatisation, battu au collège parce qu’il n’est pas de taille à se défendre, insulté et traité de « gonzesse » par des parents bien décidés à le remettre dans le droit chemin, l’enfant puis l’adolescent va avoir droit à toutes les humiliations d’un milieu qui ne tolère pas son orientation homosexuelle. Les descriptions d’un père alcoolique bagarreur et impudique, d’une mère aigrie, en colère et fatiguée par ses sept maternités, d’un domicile familial délabré, humide et moisi, d’un village de Picardie perdu, sale et indigent plongent le lecteur dans l’existence sordide d’un quart monde marqué par le poids d’une misère tant financière que morale. Réussissant à fuir sa famille et son village qui l’étouffent, l’auteur accède aux études et devient doctorant. Ce livre est une fenêtre ouverte sur une classe sociale dont ne parlent, en général, que ceux qui n’y ont jamais vécu. Ayant réussi à modifier sa destinée de classe, Eddy qui n’est plus Bellegueule depuis qu’il a changé de nom nous offre un témoignage que certains trouveront courageux, d’autres se montrant plus choqués, qui signe sa volonté de rupture avec son milieu d’origine.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1151 ■ 13/11/2014