Sexe, race & culture
TORT Patrick, Ed. Textuel, 2014, 108 p.
Le débat est vif entre la sociobiologie et les sciences sociales. D’un côté, les tenants de l’enracinement biologique, pour qui les gènes ou le fonctionnement neurologique légitiment les différences entre les races et les sexes. De l’autre côté, les partisans du tout culturel qui considèrent ces représentations comme de pures constructions sociales. Pour Patrick Tort, spécialiste de l’œuvre de Darwin, interviewé ici par Régis Meyran, l’antagonisme entre l’inné et l’acquis est complètement dépassé. Si l’évolution a bien précédé l’histoire, l’histoire d’aujourd’hui gouverne l’évolution. L’espèce humaine, en neutralisant la capacité de nuisance de son milieu et en l’adaptant à ses besoins, s’est affranchi d’un certain nombre de contraintes physiques et biologiques, dont notamment l’action éliminatoire de la sélection naturelle. Le processus de civilisation s’édifie sur quatre piliers que sont la reconnaissance de l’autre comme semblable, l’extension infinie de la bienveillance à l’égard d’autrui, la protection des plus faibles et le bannissement de la domestication de l’homme par l’homme. Deux obstacles majeurs réduisent l’accès à cet horizon éthique vers lequel toute communauté humaine se doit de tendre : le racisme et le sexisme. L’argumentation s’attaquant à ces deux idéologies pêche par son caractère simplificateur et réducteur, argumente Patrick Tort. Affirmer qu’il existe une seule espèce humaine, mais que celle-ci est composée de différentes variétés caractérisées par des différences morpho anatomiques, comme on le fait en zoologie, en botanique, en agriculture ou en horticulture, ne revient pas à faire une concession malsaine au racisme. Car, cette idéologie ne se contente pas de viser des communautés d’individus jugées homogènes sur la foi de témoignages sensibles. Elle prétend définir, en la naturalisant et l’essentialisant, l’inégalité de certaines d’entre elles et prescrire des conduites discriminatoires à leur égard. On n’éradiquera pas le racisme en supprimant toute notion de race, la disqualification d’un mot ne faisant pas disparaître les représentations qu’il symbolise : ce n’est pas une affaire de nomination, mais de domination. De la même façon, nier l’existence du sexe biologique, au nom de la lutte contre le sexisme est ridicule. La diffusion d’hormones sexuelles, au moment de la puberté, provoque des différences anatomiques, physiologiques, psychologiques et comportementales, sans que la conséquence induite soit forcément l’obligation d’imposer un traitement discriminatoire, selon le sexe. L’enjeu est bien d’articuler la légitimité de la radicalité militante se battant pour l’égalité entre les genres et les populations d’un côté avec de l’autre la justesse de l’analyse objective et différentialiste, la richesse ethnique, culturelle et sexuelle de toute communauté dépendant de sa capacité à absorber dans son peuplement la plus grande diversité possible.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1151 ■ 13/11/2014