La fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution
MATHIEU Lilian, Ed. François Bourin, 2014, 268 p.
En décortiquant la rhétorique des partisans de l’abolition de la prostitution, Lilian Mathieu ne manque pas de déconstruire des mécanismes propres à toute idéologie, quelle qu’elle soit. Il le fait avec talent et minutie, portant un regard particulièrement réaliste sur un combat militant qu’il accuse de s’être transformé en croisade morale. Il commence par restituer l’unification par hybridation réciproque de ses deux sources d’inspiration, pourtant antinomiques : le puritanisme chrétien combattant pour le rachat des pécheresses et le féminisme revendiquant la lutte contre l’esclavage. Il continue, en identifiant les maladresses argumentatives, les approximations méthodologiques et les extrapolations discursives largement présentes. Ce qui est d’abord utilisé, c’est la prétention à une expertise scientifique faussée par l’unanimité des points de vue ne tolérant aucun contradictoire et par des références qui renvoient les arguments partisans, les uns aux autres. Puis, vient l’usage jusqu’à saturation émotionnel de chiffres et de quantifications, sans aucune source, ni précaution d’utilisation, sensé impressionner, mais provoquant surtout une impossibilité à penser. S’impose enfin, une production victimaire présentant la prostitution sous une unique acception : celle d’une terrifiante oppression, et sous un seul portrait : celui d’une victime d’une abominable barbarie. Pour l’auteur, les abolitionnistes, en généralisant leur propos, en faisant de la violence et de l’aliénation l’essence de la prostitution et en enfermant les postures de la prostituée, du proxénète et du client dans une identité unique, universelle et invariable invalident leur crédibilité. Lilian Mathieu décrit enfin le contre mouvement issu des rangs mêmes des prostituées qui, refusant de se la voir confisquée, revendiquent de porter leur propre parole.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1143 ■ 12/06/2014