Masculinités: état des lieux
WELZER LANG Daniel & ZAOUCH GAUDRON Chantal (sous la direction), Érès, 2011, 269 p.
Pas plus qu’une femme ne naît dotée de qualités féminines, aucun homme ne sort du ventre de sa mère avec une masculinité innée. Les unes, comme les autres, doivent être initiés à un genre qui relève d’une construction à la fois sociale et psychique. A partir du sexe d’assignation, l’enfant s’approprie les normes socioculturelles relatives au rôle qui lui est dévolu par la société. S’il existe de nombreuses études portant sur la l’élaboration de cette identité féminine, il est peu de travaux spécifiques qui soient consacrés à la personnalité masculine. L’ouvrage, présenté ici, comble ce vide. S’il est bien un facteur qui démontre le mieux la profonde mutation dans laquelle notre société est engagée, c’est sans doute la crise de légitimité des valeurs liées au patriarcat. Nous vivons une transition historique et anthropologique marquée par le découplage entre la conjugalité et la parentalité, entre la filiation et l’alliance, ainsi qu’entre l’identité et le genre. En émerge une mobilité des identités, chacun pouvant choisir son milieu, sa culture, son apparence, son travail, son ou sa partenaire … et ses critères de genre. C’est, sans doute, dans la famille que ces bouleversements restent les plus visibles. Au début du XXème siècle, le père était quasiment absent de la vie de l’enfant. Sa fonction se limitait à être un gendarme garant de la loi. On était là dans la famille verticale fondée sur un Père symbolique, dont l’autorité ne se discutait pas. La famille contemporaine qui lui a succédé est, quant à elle, horizontale. Elle est structurée par les liens de sang, les liens de droit, les liens de cœur et les liens de toit. La paternité qui s’y exerce est bien plus fragile, contestable et contestée. Places et rôles paternels et maternels ne sont plus aussi distincts que par le passé, même si on est plus dans la complémentarité que dans l’égalité dans l’accomplissement des tâches. Pour autant, les stéréotypes masculins sont bien loin d’avoir disparu. C’est sans doute dans le milieu scolaire où ils se manifestent le plus : l’école serait une affaire de filles, la réussite serait plus liée à l’intelligence qu’aux efforts fournis, il faudrait se débrouiller seul sans demander de l’aide. Quant aux actes de défi, d’insolence, de violence physique, sexiste ou homophobe, apanage traditionnel des petits mâles, ils doivent être pensés non comme des problèmes de comportement, mais comme des conduites sexuées ritualisées, servant de rites différenciateurs, rites de passage, parades masculines ou pratiques d’intégration propres aux garçons. La seule sanction et répression de ces transgressions constituent une médaille, participant alors à la reproduction d’une société dominée par les valeurs viriles.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1100 ■ 04/04/2013