L’amour individualiste

NEYRAND Gérard, Éd. érès, 2018, 237 p.

La norme conjugale se meurt. Le couple ne constitue plus la condition indépassable d’une vie normale et d’une intégration sociale réussie, ni le préalable à la bienséance, à l’équilibre psychique et à la bonne moralité. Cette désinstitutionalisation est le produit de l’autonomisation de la sexualité par rapport à la procréation, de l’égalisation des places et de la sentimentalisation des relations. Les contraintes des garde-fous sociaux qui enserraient l’institution du mariage dans une inconditionnalité et une indissolubilité ont explosé sous la pression de la recherche de jouissance, de la quête de l’épanouissement individuel et de l’attente de la réalisation de soi. Le couple sert surtout à l’étayage identitaire, remplissant pour chacun des partenaires une fonction expressive (leur permettant une affirmation narcissique), une fonction refuge (leur offrant une sécurité face aux agressions de la vie sociale) et une fonction normative (leur proposant un référentiel commun). La parentalité s’est détachée de la conjugalité, alors qu’elle en fut longtemps le fondement. Le sentiment et la passion, en devenant la principale motivation, sinon le moteur unique des affiliations personnelles, ont accéléré ce processus de délitement. L’union n’est plus un sacrement, mais la réunion de deux individualités libres et égales basées sur un consentement éclairé et réciproque. Avec la croissance du nombre de séparations, la conjugalité s’articule autour du conseil conjugal, de la médiation ou de la thérapie familiale et des espaces rencontre. Faut-il s’en plaindre, en regrettant la disparition d’une civilisation fondée sur un ordre social patriarcal qui cherchait à canaliser les pulsions, à contrôler la sexualité féminine, à s’assurer de la certitude de la filiation et à réduire les femmes au rôle de procréatrices ?

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1265 ■ 21/01/2020