Aimer d'amitié

Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies…

« Aimer d'amitié » 

Jacqueline KELEN, Rober Laffont, 1993, 220 p.

L’amour possède son hymne chanté par Edith Piaf.L’amitié a aujourd'hui un véritable traité écrit avec beaucoup de grâce et, de chaleur par une femme, journaliste productrice à France-Culture."Entre l'amour et l'amitié, Il n'y a qu'un lit de différence" chante Henri Tachan.Pourtant, à l'amour se rattache la notion de passion, d'exclusivité, d'exigence et de fidélité halée sur la peur de perdre l'autre. Tout se passe comme si ce sentiment tendait à retrouver la relation fusionnelle primitive. On est bien dans la complémentarité impliquant l'adhésion ou la reddition de l'autre. Il en va tout autrement de l'amitié qui n'implique ni intérêt personnel ni obligation. On peut la définir comme un sentiment sans acte. Elle s'appuie avant tout sur la qualité de relation et l'intelligence du cœur. Elle exige une relation d'égalité et un strict respect de l'autre dans une juste distance, telle qu'aucun ne craint d'être absorbé ou quitté. L'amour serait donc individualiste là ou l'amitié est éminemment humaniste. L'opposition est-elle si tranchée entre ces deux types si différents de relation ? Pas tant que cela si l'on suit Jacqueline Kelen, dans la mesure où la durée du couple serait liée ni à la pérennité du désir ni à l'entente sexuelle mais à la capacité à tisser entre les partenaires une authentique relation d'amitié. Cette qualité relationnelle dans l'union conditionnera d'ailleurs les attitudes dans l'éventuelle séparation et au-delà. La solidité du lien amical n'empêche pas la souffrance de la rupture. Elle permet simplement (et c'est beaucoup) d'éviter la vilenie, la mesquinerie et les comportements bas et déshonorants. Mais l'amitié ne fait pas que dynamiser la relation amoureuse en évitant qu'elle ne se referme sur elle-même. Elle est aussi et surtout une authentique attitude d'ouverture au monde et de relation sociale à part entière. Les hommes entre eux tout d'abord la vivent surtout dans l'action commune. Les femmes quant à elles sont très vite entre elles dans la confidence. Mais l'amitié peut lier aussi l'homme et la femme, quand chacun a réussi à dépasser la traditionnelle coutume de vouloir prouver sa virilité, pour le premier, et sa capacité à séduire, pour la seconde. L'amitié est ce désir d'aller infiniment à la rencontre de l'autre. Pour y arriver, il faut au préalable avoir appris à se connaître et avoir apaisé ses propres conflits permettant ainsi d'éviter de projeter sur l'autre ses propres peurs et appréhensions. Pendant longtemps, l'amitié a été monopolisée par les hommes, les femmes se voyant réserver la jalousie, la suspicion et la rivalité. Peut-être est-ce justement à cause des valeurs subversives d'égalité, d'ouverture et de respect de l'autre quelle véhicule et qui pouvaient sembler dangereuses pour la suprématie masculine.Si le sentiment d'amitié appartient a toutes et à tous, c'est bien parce qu'il ne sert à rien, sinon à rendre la vie plus belle.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°285 ■ 08/12/1994