Sol et sous-sols d’un boomer
CHAUVIERE Michel, Éd. L’Harmattan, 2024, 241 p.
Il aura été de tant de combats. Il aura dénoncé tant de dérives néolibérales. Il aura éclairé tant de professionnels. N’attendons pas une nécrologie (que nous souhaitons la plus tardive possible) pour rendre hommage à l’autobiographie d’un acteur encore bien vivant.
« Mon corps de boomer fout le camp par tous les bouts, sans que j’y puisse grand-chose. Cependant, ma tête reste en état de fonctionner. » Ainsi débute Michel Chauvière dans un récit revenant sur sa longue carrière. Soucieux de se situer dans le temps, il commence par nous livrer un tableau détaillé de ses racines généalogiques, avant de décrire précisément le berceau de sa famille et ses années d’enfance. Son livre se veut un hommage à des parents dont il a reçu un capital immatériel qu’il lui revenait de faire fructifier. Ce qu’il fit amplement. Le temps est donc arrivé d’en faire le bilan.
Situer d’où l’on vient permet de comprendre où l’on est arrivé. Boomer millésime 1946, de culture catholique, il est originaire du bocage près de Laval, aux portes des marches de Bretagne. Sa personnalité s’est construite en se frottant au militantisme de la « Jeunesse étudiante chrétienne ». Cette association joua pour lui un rôle de socialisation particulièrement performant. Il s’y forgea ses premières armes en se confrontant tant à l’exercice intellectuel qu’aux actions collectives. Il y vivra un apprentissage empirique des sciences humaines, devenant sociologue en culotte courte.
Bien d’autres expériences enrichiront son entrée dans la vie adulte. Depuis l’inévitable voyage initiatique à Katmandou jusqu’aux découvertes du métier d’éducateur auprès d’un public handicapé ou de protection de l’enfance, en passant par le formatage d’une religion dont il réussit rapidement à se détacher. D’abord intéressé par un cursus universitaire en psychologie, c’est finalement la sociologie qui le happe. Il s’immergera dans les péripéties de mai-juin 1968 et l’aventure de l’université de Vincennes. Il se lance finalement dans une carrière de chercheur, d’abord comme indépendant en 1975, puis au CNRS à compter de 1980. Sociologue et citoyen militant, il s’investit dans les mobilisations féministes, participe aux luttes anti-nucléaires et combat le projet de camp militaire du Larzac.
Autant d’épisodes oubliés qui font néanmoins sens chez une personnalité marquante du paysage d’un champ social qu’il n’a cessé de labourer depuis plus de cinquante ans. Il en a décrypté les coins et recoins, l’étudiant sous bien des coutures, tentant de percer ses énigmes, ses péripéties et ses intrigues. Son premier livre qui explorait les fondations de la protection de l’enfance (« Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy ») fit sensation. Tout comme l’un de ses derniers qui dénonce la marchandisation en marche du social (« Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation »). Entre les deux, il répondit présent à tous les mouvements de résistance du secteur : CQFD en 1998 (défense de la qualification du travail social), les États généraux du social entre 2002 et 2004, l’Appel des appels en 2008.
Aujourd’hui, pessimiste, il en a marre de tant de temps perdu dans des réunions militantes pour des résultats aussi maigres. Mais, aujourd’hui toujours optimiste, il est toujours prêt à se mobiliser pour la justice sociale, la démocratie et les services publics, la survie de nos métiers, l’éthique clinique, les droits fondamentaux des enfants, des personnes handicapés et des migrants. En un mot, le combat de toute sa vie !