Histoire du repos

CORBIN Alain, Ed. Plon/Pocket, 2024, 122 p.

Les définitions et les figures du repos n’ont cessé de varier au cours des siècles, s’imbriquant, se superposant ou se combattant. L’occasion pour le célèbre historien d’en proposer un inventaire.

Certes, il toujours possible d’évoquer ce repos éternel qu’apportent la fin de vie et la mort.

La religion l’a nimbée de cette dimension paradisiaque et douce au milieu des anges, du moins pour les seuls élus qui le méritent. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre cette ultime échéance, pour en profiter.

L’ancien testament impose le dimanche comme septième jour de la semaine, devant être totalement consacré à Yahvé. Les chrétiens y verront le premier jour, début d’un nouveau cycle. Menacé par l’ennui et l’oisiveté, il est pourtant réputé être le vestibule du péché mortel de paresse. Le repos n’est pas censé faire partie des biens terrestres, étant réservé à l’au-delà.

C’est pourquoi l’église dressa très tôt la liste de ce que les croyants ne devaient pas en faire. En furent exclues les activités festives ou récréatives. Thérèse d’Avila, béatifiée au XVIIème siècle, le confirma, elle qui préconisa « de ne rien faire qu’avec douceur et sans bruit ». Il ne manquerait plus que la relaxation et le relâchement se fassent dans le bruit et la fureur !

C’est pourtant progressivement, que le délassement se substitue à la quiétude liée à la contemplation de Dieu. Apparaissent même les « Saints Lundis » (qui deviendront « jour chômé ») pour satisfaire aux besoins de fête. Jeux, danses et beuveries dé sanctifient alors le repos dès la première moitié du XIXème siècle.

Se multiplient les chaises longues et autres rocking-chairs qui valident, valorisent et légitiment ainsi l’intention d’abandon corporel. Autant de commodités favorisant un retour et une concentration sur soi qui permettent de mieux s’écouter et de mieux se connaître, grâce aux sensations agréables ainsi procurées.

La philosophie des lumières n’est pas en reste. Si Diderot se plait à faire l’éloge de sa robe de chambre dans laquelle il aime à se prélasser toute sa journée, Rousseau quant à lui, voit dans le repos l’opportunité d’une fuite loin de l’agitation sociale et de la foule importune. C’est là la position idéale à une rêverie propice à l’exploration de son état intérieur.

Xavier de Maistre, tenu à un confinement dans sa chambre pendant 42 jours, ne semble pas s’en plaindre, appréciant « le plaisir que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit ». Le malheur des hommes complètera Pascal, « est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre » !

Et puis vient une industrialisation qui chasse de la temporalité du paysan ou de l’artisan les micro-interruptions qui le ponctuaient, le remplaçant par des rythmes industriel excluant tout temps mort. L’épuisement et le surmenage induits font naître la revendication d’une nécessaire récupération de la force de travail. Réclamation qui ne tardera pas à devenir une exigence.

Pendant si longtemps, l’ardeur et l’acharnement au travail furent brandis comme autant d’antidote au désœuvrement et à la fainéantise. C’est la médecine qui portera le coup de grâce à ce dogme, faisant du repos un outil thérapeutique. Associé à l’air pur et au soleil, sa cure est alors prescrite pour soigner la tuberculose.

C’est que la science a fini par élever le repos au statut de besoin naturel, condition au bon développement et à la santé humaine. Mais son évolution n’est pas terminée. La modernité lui a attribué de nouvelles dénominations : celles de la détente et des loisirs qui envahissent l’espace. Un ministère fut même dédié au temps libre, consacrant le repos comme un droit à part entière.