Le regard de l’enfant, étude clinique
Simone Rouchy et Chantal Aubry, ESF, 1995, 106 p.
Tous les professionnels de la relation savent que le regard possède en lui-même une valeur relationnelle intense. La diversité du vocabulaire s’y rapportant montre d’ailleurs la richesse de ce sens: on porte son attention sur, on vise, on examine, on observe, on scrute, on explore, on discerne, on surveille, on contrôle ... Le regard peut dire bien plus qu’un discours, voire même contredire les propos tenus. En effet, s’il est en harmonie avec l’expression du visage ou la gestuelle du corps, il fonctionne dans un tout. Il n’attire l’attention que lorsqu’il est plus éloquent que le dire.
A six semaines, le nourrisson fixe et soutient le regard de sa mère. A trois mois, le système moteur visuel est arrivé à maturité. Les premiers signes d’individuation apparaissent. Ainsi au cours de l’allaitement, les mères consacrent 70% de leur temps à regarder leur enfant, transmettant par le regard joie, tristesse, étonnement, disponibilité, admiration et mécontentement. Les vicissitudes du regard peuvent perturber l’enfant. Il en va ainsi par exemple quand la mère est dans l’incapacité d’entendre et de voir les demandes de son bébé. L’absence d’une stimulation visuelle suffisante empêche alors que l’enfant n’accède à une représentation non seulement du monde extérieur mais aussi de son propre corps dans un climat émotionnel positif.
On ne peut séparer l’oeil qui voit de celui qui éprouve et de celui qui traduit les sentiments de la personne. L’oeil dévisage, décompose, recompose et cherche dans le regard de l’autre l’amour ou la haine. Regarder ce n’est pas seulement un instrument de connaissance et d’échange, c’est aussi un moyen d’être à la fois contenu, soutenu et reconnu. Se sentir regardé de façon positive, c’est en quelque sorte être autorisé à exister.
Un groupe de professionnelles composé de quatre orthophonistes et une psychomotricienne a mis en commun ses connaissances et ses expériences pour nous proposer un ouvrage qui fait largement la place aux observations et vignettes cliniques. Regard voilé, frontal, transversal, latéral, plongeant, surplombant, intérieur, refus de regarder, impossibilité de regarder sont décrits comme autant de difficultés à communiquer et symptômes de troubles psychologiques. La dynamique des regards échangés au cours de la thérapie et ce qu’ils impliquent en termes d’échange interpersonnel apparaît dès lors comme les étapes significatives d’un champ riche d’affectivité, de réassurance et de construction de l’estime de soi.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°355 ■ 30/05/1996