Expliquer le paranormal - Les niveaux du mental

Philippe WALLON, Albin Michel, 1996, 269 p.

Voilà un ouvrage qui sent le souffre!
Imaginez-vous: un scientifique qui descend dans l’arène du paranormal en laissant à la porte le persiflage et le mépris, c’est louche.
C’est que ce domaine ne laisse personne indifférent: il passionne ou bien il irrite. Chacun a besoin de définir son expérience, de la relier à un cadre explicatif et à un cadre social. L’expérience paranormale entraîne trop souvent la honte: on préfère ou on n’ose pas en parler. En même temps qu’il n’est plus possible de nier totalement les faits, il est encore plus difficile de les admettre.
Philippe Wallon prend des précautions: il explique qu’aborder cette question ne signifie nullement cautionner l’ensemble des allégations et des pratiques qui s’y rapportent. Il nous propose un voyage passionnant au pays de l’étrange. Pour ce faire il a renoncé aux oripeaux du positivisme et à ceux du mystique et préfère le regard du psychiatre et du psychanalyste. Le paranormal explique-t-il n’est pas objectivable puisque pour l’analyser l’observateur est obligé de s’y intégrer. Qui plus est, c’est un lieu où la raison s’égare. A partir d’un schéma théorique (les différents niveaux du mental qui séparent le plus profond de l’inconscient de la conscience claire), l’auteur nous fait explorer, illustrations à l’appui, la télépathie et la voyance, les visions et les dédoublements, les esprits frappeurs et autres lévitation, résistance au feu, stigmates, réincarnations et capacités à guérir ... comme autant de manifestations de notre inconscient.
La première réaction possible est celle de l’ironie: je ne manquerai pas d’y souscrire en réclamant de connaître le truc de la soeur Yvonne-Aimée de Malestroit qui bénéficiait du don de se trouver et de pouvoir agir en deux endroits à la fois. Quand mes obligations professionnelles m’amènent à devoir choisir deux synthèses prévues en même temps en deux lieux différents, il serait pratique que je puisse assister à l’une et à l’autre. Mais une fois passée cette raillerie un peu facile, force est de constater que le paranormal nous côtoie plus souvent qu’on ne le pense. Ces familles qui vont avec succès « faire passer les vers » de leur gamin au moment de la pleine lune ou « conjurer le feu » en cas de brûlure ou de coups de soleil, ce commun des mortels qui se trouve confronté à des prémonitions ou des visions qui se réalisent, on les trouve dans notre quotidien, on s’y retrouve soi-même éventuellement ! Même les scientifiques confirment que leurs meilleures découvertes sont parfois le produit non pas d’une recherche de longue haleine mais d’inspirations fulgurantes: Moréno invente la carte à puce en fumant un joint, le mathématicien anglais Zeeman a une idée géniale en s’asseyant sur ses toilettes, Poincaré en traversant un boulevard, le chimiste Kekulé en mettant le pied sur le marchepied d’un omnibus londonien !
La place prise par l’intuition qui nous donne la bonne interprétation en lieu et place de l’intelligence qui nous aurait conduit à l’erreur, on la retrouve au coeur de la relation d’aide qu’elle soit d’ordre psychothérapique, sociale ou éducative. On rejoint là la démonstration faite par l’auteur à propos de la télépathie. Il explique que cette pratique nécessite une profonde résonance affective. Cette véritable contagion qui mobilise les êtres jusqu’au plus profond d’eux-mêmes permet d’engrammer la logique interne de l’autre au point de la faire sienne et de comprendre ses réactions et de prévoir ses agissements. D’où une forme de communication qui peut s’établir à distance ( à l’exemple de ce père réagissant à l’accident dont venaient d’être victime sa femme et ses enfants avant même d’en être informé). Que faisons-nous d’autre quand nous rentrons en contact avec nos usagers (adultes ou mineurs) par la technique de l’empathie sinon nous imprégner de leur fonctionnement de leur ressenti et de leur mode de raisonnement ( ce qui nous permet de comprendre voire deviner leurs comportements) ?
Philippe Wallon apporte son propre éclairage à toutes ces questions controversées sans prétendre à les régler par des réponses rassurantes: rien que cela mérite qu’on lise son livre.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°361 ■ 11/07/1996