Les sources de la honte
Vincent DE GAULEJAC, Editions Desclée De Brouwer, 1996, 315 p.
La honte est un sentiment profondément humain qui adopte de multiples aspects et visages. On peut la ressentir au niveau corporel (manque d’hygiène, aspect disgracieux, handicap), mais aussi sexuel (n’a-t-on pas parlé longtemps des “ parties honteuses ” ?), psychique (perte de l’estime de soi, conviction qu’on n’est pas digne d’être aimé), morale (quand on est surpris à ne pas respecter des règles de vie), ou encore sociale (stigmatisation en raison de son origine, de sa nationalité ou sa religion). Ce sentiment s’installe lorsque l’identité profonde de l’individu est altérée. C’est tout d’abord l’impression d’être inutile ou dévalorisé qui mine le respect de soi. C’est alors toute la libido narcissique qui s’inverse : l’amour propre se transforme en haine de soi, l’estime en mésestime, la fierté en mépris. Mais la honte apparaît aussi quand l’affirmation de sa place sociale et le respect exprimé par les autres sont remis en cause : on se sent incompris et seul.
“ La honte naît dans une relation : elle ne peut disparaître que dans une relation ” (p.121) Pour évacuer ses effets destructeurs, ce sont tous les mécanismes de défense du Moi qui se mettent en place : rationalisation, clivage, dénégation, projection, repli sur soi, sidération … Parmi ces réactions, on trouve le retournement en son contraire à l’image du mal et de l’abject, du sordide et de la misère considérés comme des éléments d’idéalisation. Ou encore ce “ complexe du Phénix ” : “ la fuite en avant dans le malheur, le besoin de “ toucher le fond ”, sont des moyens de se positionner en sujet de sa propre déchéance, de la transformer en source de fierté : “ voyez jusqu’où je suis capable d’aller ””(p.251) L’orgueil est aussi une manière de réagir : le narcissisme exacerbé, l’obsession de soi-même apparaissent alors comme l’affirmation d’une personnalité au départ profondément mise en question. Le désengagement thérapeutique de la honte nécessite un travail en profondeur du sujet sur lui-même : sortir de l’inhibition, redynamiser ses potentialités créatives, restaurer son histoire, transformer ses rapports aux normes sociales … constituent une action de longue haleine. L’auteur illustre sa recherche sur la question des sources de la honte avec de nombreux récits de vie qui impliquent tout autant des personnalités célèbres (Freud, Sartre, Camus), que des patients ou des sujets confrontés à la misère à l’humiliation ou à la stigmatisation.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°464 ■ 26/11/1998