Du bon usage de la honte
Serge TISSERON, Ramsay, 1998, 202 p.
La honte constitue une réalité à la fois psychique et sociale si pénible que celui qui l’a éprouvée un jour fait tout pour l’oublier. Et là justement est le problème, car nombre de troubles psychologiques, d’angoisses inexplicables voire de difficultés d’apprentissage sont liés à une honte ancienne et enfouie. Il apparaît donc nécessaire de réhabiliter la reconnaissance de ce sentiment : c’est là le seul moyen de le dépasser. Ainsi, “ dire sa honte, c’est montrer qu’on échappe au risque d’être irrémédiablement marginalisé à cause d’elle ” (p.71). Après l’effet de sidération, la seconde caractéristique de la honte c’est bien sa grande contagiosité : elle renvoie à chacun l’inquiétude de connaître les mêmes affres, elle suscite des fantasmes d’avilissement et d’humiliation et provoque des réactions ambivalentes faites de compassion et de haine. Troisième aspect : le sentiment d’être mis au ban. Notre société préfère la culpabilité qui produisant l’expiation favorise le pardon. La honte, elle, ne provoque que l’isolement et l’exclusion de la communauté. Toutefois, si cette manifestation constitue le symptôme d’un profond mal-être, elle est aussi un signal d’alarme contre la réalisation de désirs qui nous feraient nous éprouver nous-mêmes comme non-humain. Cette protection est en fait éminemment utile. Son utilisation dépend de la force de personnalité de chacun et de la nature et des liens établis avec son entourage (compréhensif ou humiliant). L’auteur appuie sa démonstration sur toute une série de cas cliniques qui font une large place à la situation des enfants victimes d’agressions sexuelles et plus particulièrement à la pédophilie. Son approche sur cette question très sensible est innovante et a l’avantage de sortir de l’émotion qu’elle provoque traditionnellement. Celui qui ne peut médiatiser ses pulsions risque de les mettre en scène dans la réalité, explique Serge Tisseron. Si la société doit rester garante de la protection psycho-affectif de l’enfant et sanctionner sévèrement toute atteinte sexuelle dont il serait victime, elle doit aussi aider à verbaliser le désir pédophile chez les adultes qui en sont la proie afin qu’ils puissent le contrôler. “ Nul n’est plus menacé de passer à l’acte sur le corps de l’enfant que celui qui nie la réalité de ce désir en lui (…)” (p.176) C’est là poser la distinction essentielle entre réalité du désir qui peut concerner un certain nombre d’adultes et sa réalisation qui ne s’applique qu’aux plus pervers ou à ceux qui refusent de le reconnaître en eux.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°464 ■ 26/11/1998