Une histoire de l’autorité. Permanences et variations

Gérard MENDEL, La Découverte, 2002, 284 p.

L’autorité est en crise. C’est là un thème récurrent qui, pourtant, échappe rarement au sens commun. Un consensus existe pour définir ce concept comme la possibilité d’obtenir une obéissance volontaire sans pour cela que ne soit nécessaires ni la contrainte physique, ni l’arme de la conviction. Autre caractéristique largement reconnue : l’autorité s’inscrit dans le registre de la dissymétrie. En effet, dès qu’on argumente, on se place sur un plan d’égalité. L’espace démocratique serait donc un facteur de fragilisation. Et c’est là toute la démonstration de l’auteur qui, refusant de situer l’affaiblissement de l’autorité au seul contexte contemporain, le replace dans tout un processus historique. Longtemps, l’éducation de l’enfant s’est fait dans une dynamique dont rend bien compte le modèle indien. Au cours de ses quatre premières années, le petit d’homme vit dans une relation fusionnelle avec sa mère, partageant constamment son intimité physique et accédant tardivement au sevrage. Puis, à quatre ans, il est brutalement plongé dans le monde masculin où disparaissent toute la protection et le maternage dont il a profité jusque là. C’est justement ce surinvestissement accumulé qui va provoquer sa sujétion intense à l’autorité d’une communauté qui, toute sa vie lui apparaîtra, la matrice de son identité et la condition de sa simple survie. La crise de l’autorité est justement à relier avec la montée en puissance de l’individu et son émergence de la gangue communautaire. Cela a commencé cinq siècles avant JC, quand Socrate a revendiqué pour l’individu le droit au libre examen critique de tous les aspects de sa vie et de la société, préconisant le progrès moral par l’exercice de la raison et non seulement par l’obéissance à la tradition. Cela a continué par la République romaine qui, trois siècles durant, a institutionnalisé le jeu et l’expression entre les différentes forces de la société. C’est ensuite, saint Augustin (354-430) qui introduit l’idée d’un rapport conflictuel intérieur à l’individu, celui-ci devant faire face au démon qui l’habite. L’autorité qui s’imposait jusqu’alors de l’extérieur (la communauté) doit dorénavant surgir du plus profond du sujet. Dernier coup de boutoir, la philosophie des lumières qui remplacera l’éthique transcendantale qui jusque là s’imposait à l’homme par la rationalité instrumentale (épreuve de la réalité, rapport au monde à partir des sens...). Le délitement du poids communautaire se confirme aujourd’hui tant au travers du nouveau management (qui cherche à ce que le salarié ne se contente pas de produire un service attendu, mais donne spontanément le meilleur de lui-même) ou l’art contemporain (qui abolit toute médiation ou tout modèle entre le créateur et le spectateur). Restent les symptômes du malaise à assumer cette évolution que l’on retrouve dans le développement tant de la pathologie de la perte (dépression) que du remplissage (la moitié des américains ont un poids excessif).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°616 ■ 04/04/2002

 GAVROCHE  ■ n°123-124 ■ mai-août  2002