Le premier sexe - Mutations et crise de l’identité masculine

André RAUCH, Hachette Littérature, 2000, 300 p

La crise qui affecte l’identité masculine remonte à l’effondrement  du vieil ordre dominant. Dans l’ancienne France, le mélange entre les hommes et les femmes était inconcevable. Le régime d’apartheid qui s’imposait alors, constituait un acte initial et initiatique. La révolution dont le point culminant est le parricide de Louis XVI marque le refus de la domination du père. Mais, ce rejet s’appuie alors encore, sur la suprématie du paradigme masculin. Le souverain est présenté comme incapable de sortir du gynécée et son pouvoir comme soumis aux femmes (au premier rang desquelles Marie Antoinette) dont l’essor dans la politique serait à l’origine de la décomposition monarchique. Les femmes qui participaient activement au mouvement révolutionnaire verront d’ailleurs leurs clubs être dissous en 1793. Reste ensuite à retrouver des modalités d’identification virile. Ce sera, tout d’abord, la conscription qui, malgré une large résistance (désertion massive), devient l’acte de distinction par essence entre l’homme véritable d’un côté et la femme, l’enfant et le vieillard, de l’autre. Qui plus est, le militaire couvert de blessure et de gloire apparaît comme le surmâle et le héros, par excellence : c’est la culture du corps souffrant. Le guerrier donne la mort là où la femme donne la vie. Jouer chaque jour son existence au combat devient le critère principal de l’honneur. Pour mesurer sa virilité, on se bat à tout propos. Puis, vient une autre référence : celle de l’idéal bourgeois qui valorise la prospérité et la réussite individuelle. La compétence supplante alors la naissance. Colères, irritations, chagrins n’ont plus droit de cité sur la scène publique et sont remplacés par la froide planification de l’homme d’affaire. A la campagne toutefois, c’est encore les démonstrations de force qui continuent à l’emporter. Entre 1831 et 1851, 790.000 adultes entrent en errance pour trouver du travail à la capitale. Ces marches sont vécues comme autant d’épopée de courage : l’aventure trempe le caractère des migrants. Ceux-ci  restent fidèles à leurs valeurs, économisant ce qu’ils gagnent dans l’objectif de revenir dépenser triomphalement leurs argent au pays. Ils relèvent le défi de travailler plus, dans les pires conditions, afin de se distinguer des ouvriers de la ville.  Ils se regroupent par régions d’origine et organisent des combats de lutte ou de boxe qui sont l’occasion de défendre l’honneur de leur pays respectif. La jeunesse est, de con côté, massivement regroupée dans les internats des collèges et des lycées. S’y développent des signes de virilité qui s’identifient à l’endurance : résister à la souffrance, ne jamais exposer ni partager ses émotions ou ses chagrins. L’art de subir sans perdre sa dignité confère alors une marque d’excellence. Cette approche connaît une évolution notable en cette fin de siècle : « la menace de briser l’identité d’un être fragile a quelque peu neutralisé les exigences de vigueur virile » (p.210) sans toutefois faire disparaître complètement ces registres.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°563  ■ 08/02/2001