Manifeste du bricolage social. L’aventure de la chimère sociale

SENEGAS Elizabeth, Ed. Ségolène, 2022, 139 p.

Face à la montée de l’individualisme, de la fermeture sur soi égoïste et de la compétition de tous contre tous, est-il encore possible de croire en un autre monde ? La témoignage d’ Elizabeth Sénégas apporte une réponse possible à cette question.

Son parcours est loin d’être banal. Professionnelle de l’insertion, elle acquière vite une certitude. S’il est bien un sentiment que vivent les plus pauvres, c’est cette sensation de déchéance alimentée par la honte, l’indignité et l’inutilité. Et ce ne sont pas les usines à gaz technico-administratives proposées par les services sociaux qui peuvent les libérer de tant de ressentis négatifs. Mais si les plus exclus ne trouvent pas de sens aux dispositifs d’insertion, les travailleurs sociaux chargés de les appliquer sont nombreux à nourrir la même conviction de vacuité et d’incohérence.

Elizabeth Sénégas en faisait partie, elle qui a essayé d’humaniser l’accompagnement qu’elle assurait auprès des demandeurs d’emploi. Jusqu’à ce qu’elle démissionne, refusant de continuer à tourner le dos aux valeurs centrales de solidarité et d’entraide. Se retrouvant au chômage, elle initia deux associations aux contours proches qui finirent pas en faire naître  une troisième: Entr’actifs et La Chimère citoyenne accouchèrent en 2017 de la Chimère-café, située à Grenoble.

Ce tiers-espace est ouvert à tous : valide comme handicapé, chômeur et salarié, jeune ou plus âgé. Ici, on ne propose rien a priori, mais on accueille celles et ceux qui s’y présentent autour d’un café payé à prix coûtant. S’y réunissent des associations : les tricoteuses le lundi, les lecteurs de polars anglais le mercredi, les chanteurs le samedi. S’y tiennent des soirées ouvertes, dédiées à la poésie, à la musique, aux contes, aux débats ou à la présentation de livres.

Mais ce lieu a surtout pour fonction essentielle de susciter la rencontre et la coopération. Il ne s’agit pas de porter toute la misère du monde, mais de sentir simplement concerné par l’autre. C’est Pierre, allocataire du RSA, qui souhaite créer un jardin partagé : il y échange avec deux architectes-paysagistes avec qui il conviendra de cultiver une parcelle de leur terrain. C’est Marie-Thérèse qui souhaite monter une pièce de théâtre : elle y croisera la bonne personne pour se faire prêter une salle de répétition. C’est Gaëlle, SDF en fauteuil roulant qui bénéficiera de la mobilisation du réseau qui s’y déploie pour trouver un logement.

Autant de bricolages, de tissages sur-mesure et de tricotage dans la dentelle menés hors de standardisation et normalisation. La recette ? Il n’y en a pas. Restent la rencontre avec autrui qui permet de sortir de l’entre-soi, de s’entraider et d’activer les relais de paroles, sans obligation de résultats calculés à coup d’indicateurs, ni de bilan chiffré. Juste du vide que chacun(e) remplit par ce qu’il y apporte, laissant la place à l’imprévu.

 

Site : https://lachimerecitoyenne.org/