Sommes-nous libres de vouloir mourir? Euthanasie, suicide assisté, les bonnes questions

FOURNERET Éric, Éd. Albin Michel, 2018, 201 p.

Quand on aborde la question du droit de choisir sa mort, le débat semble réduit à une opposition binaire : légaliser ou pas l’euthanasie et le suicide assisté. Chacun est sommé de se positionner dans un camp. Et si l’on entrait dans la complexité de cette problématique, pour en éclairer les enjeux ? C’est ce que fait Éric Fourneret, en posant des questions qui, pour s’avérer dérangeantes, n’en sont pas moins d’une grande pertinence.

Commençons par les limites du droit à mourir. Où commence-t-il et où s’arrête-t-il ? Il semble légitime de l’accorder à une personne confrontée à une maladie incurable qui la plonge dans des souffrances physiques que rien ne peut apaiser. Mais, au nom de quoi la refuser à celle qui le revendique avec insistance, en argumentant un handicap lourd, une profonde dépression ou une fatigue de vivre. Les évidences apparentes ne tombent pas tant que cela sous le sens, quand on les creuse.

La personne qui fait le choix de la mort est-elle libre de le faire, au point de pouvoir aussi choisir de ne pas mourir ? Il est des circonstances où l’aliénation, la contrainte ou l’émotion pèsent sur sa décision. Quand la société désigne un état de santé comme tellement indigne qu’il ne mérite pas d’être vécu ? Quand l’entourage s’épuise à accompagner un proche qui culpabilise d’être une telle charge pour eux ? Quand ce n’est pas la personne qui s’exprime, mais sa souffrance, sa solitude ou son désespoir ?

Continuons avec la toute-puissance du monde médical s’emparant de la fin de vie pour en faire son pré carré. La quête de réappropriation en tant que citoyen de la manière dont on veut en finir relève-t-elle d’une volonté de mourir ou de la revendication de participer aux décisions le concernant et de ne pas se laisser instrumentaliser par une médecine hautement techniciste qui s’arroge le pouvoir de décider de tout ?

L’interpellation de l’envie de mourir est-elle à prendre au pied de la lettre ? Ne faut-il, pas parallèlement aussi améliorer les conditions d’existence des malades, des personnes porteuses de handicap, du grand âge … et de leurs aidants ? Il faut distinguer entre ce qui est (les causes objectives) et ce que la personne en perçoit (les raisons subjectives). Il n’y a pas qu’une grammaire pour décoder la perte du goût de vivre, l’autre ne se limitant jamais à ce qu’on croit comprendre de lui (ou d’elle).

La compassion est-elle étrangère tant aux partisans de cette nouvelle liberté revendiquée qu’à ses opposants ? On peut tout à fait être pressé d’en finir avec un proche pour s’en débarrasser au plus vite. Comme on peut se montrer insensible à une agonie, symbole d’une déchéance bien imméritée. Personne n’a le monopole de la congruence.

Bien d’autres pays ont adopté des pratiques aux antipodes de la législation française, sans que cela ne soulève les débats passionnés que connaît notre pays. La Belgique et les Pays-Bas ont autorisé l’euthanasie depuis plus une quinzaine d’années, sans que cette forme particulière de mort n’aille au-delà des 3% de la mortalité générale. La Suisse, qui a toujours considéré le suicide comme un acte privé, laisse à ce titre, sa réalisation à la discrétion de chacun(e). L’Oregon, cet État américain qui autorise la prescription d’une substance létale que le malade en phase terminale peut absorber chez lui quand il le souhaite, ne voit pas plus de la moitié des patients concernés y avoir effectivement recours.

Mais que l’on choisisse de provoquer la mort en faisant obstacle à la vie ou accompagner la vie en ne faisant pas obstacle à la mort, Éric Fourneret revendique la place de ces soins palliatifs qui sont encore très loin d’être prodigués aux mourants qui le demandent.

Sauf à chercher à la simplifier, il est illusoire de chercher une réponse ultime, définitive et indubitable à une question qui doit être guidée par un doute méthodique incompatible avec tout militantisme qu’il soit du côté des « pour » ou des « contre ».