La comédie humaine du travail
LINHART Danièle, Éd. érès, 2015, 158 p.
La chronique de la déprofessionnalisation systématique des travailleurs est au coeur de l’histoire du travail salarié. Le management a toujours cherché à déposséder les professionnels de leur expérience, à limiter le plus possible leurs capacités à peser sur l’activité et à réduire leur maîtrise du processus de travail. Avec le même objectif : contraindre les salariés à se plier aux normes les plus rentables du point de vue de l’employeur. Hier, le taylorisme avait réussi à découper le travail en tâches élémentaires, à le vider de toute prise d’initiative et dimension cognitive. L’« organisation scientifique du travail », en transformant les ouvriers en simples exécutants, contribua à les exproprier de leurs biens principaux : leurs connaissances, leur savoir-faire et leur expérience. A cette déshumanisation passée, répond la surhumanisation d’aujourd’hui. Les fragilités menaçant les performances étant une fois de plus diagnostiquées du côté des ressources humaines, les managers contemporains entendent faire plier les salariés au dictat des indicateurs, des procédures et des bonnes pratiques. Ces méthodes sont élaborées et sans cesse renouvelées par des experts extérieurs, en fonction d’un environnement fluctuant. La professionnalisé n’est pas évoquée comme un atout, mais comme un obstacle. Il faut que le salarié accepte d’être le relais fiable de la rationalité économique : standardisation, flexibilité, disponibilité, individualisation, mise en concurrence systématique… La souffrance au travail tient en partie au brouillage des repères et à la déstabilisation des ancrages acquis par les collectifs. C’est clandestinement que les salariés prennent des initiatives, tentent de recréer du sens à leur activité et se placent à distance du travail prescrit, en s’éloignant de la norme, du règlement et de la consigne, meilleure garantie pour préserver l’adaptabilité de leur tâche.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1194 ■ 27/10/2016