Un pognon de dingue, mais pour qui?
COMBRES Maxime, PETITJEAN Olivier, Éd. Seuil 2022, 189 p.
60 milliards d’euros en 2025… A l’heure où l’on ne parle que d’économies pour ne pas aggraver les déficits budgétaires, le « pognon de dingue » (Macron) que coûtent les aides sociales et l’assurance maladie, les postes de fonctionnaires et les services publics est pointé du doigt, comme principal responsable et coupable de tous nos malheurs. Curieusement, la masse considérable d’aides financières attribuées aux entreprises n’est jamais évoquée. Ce que détaillent avec brio les auteurs de ce livre.
Ces aides se montaient à 65 milliards en 2007. La crise de 2008 les booste à 110 milliards. Le Crédit impôt pour la compétition et l’emploi (CICE) instauré par le Président Hollande et pérennisé par Emmanuel Macron fait monter l’addition à 150 milliards. Et la spirale infernale est bien loin de s’être interrompue. Plus de deux mille formes d’aides s’ajoutent les unes aux autres, pour un montant qui friserait aujourd’hui les 170 milliards. Le robinet de l’argent public ouvert au monde de l’entreprise lucrative s’est transformé en chute du Niagara.
Toujours plus de restrictions pour les services publics qui répondent aux besoins essentiels de l’ensemble de la population (santé, éducation, sécurité …) et toujours plus d’argent public pour soutenir les entreprises. Entre 2007 et 2018, les aides sociales ont progressé trois fois moins vite que celles accordées aux entreprises. Il ne s’agit plus tant de subventions verticales directes que d’aide indirectes horizontales. Tous ces abattements, exonérations de charges sociales, taux réduits, déductions diverses, crédits d’impôts etc … représentent aujourd’hui 5,6 % du PIB contre 3,5 % en 2007.
Comment expliquer ces choix économiques et surtout politiques ? Plusieurs conceptions les justifient.
Il y a d’abord la valorisation de l’entrepreneur privé présenté comme le seul créateur de richesse et le rabaissement parallèle des services publics au rang de charges qui pèsent sur la compétitivité de nos entreprises, freinant leur innovation, leur rentabilité et leurs exportations sur le marché mondial. Quand, en 2019, 45 milliards furent consacrés aux demandeurs d’emploi, 75 l’ont été pour soulager les entreprises du coût du travail. Mais non, décidément, ce sont les chômeurs qui pèsent le plus lourd dans le partage de la richesse ! Satisfaire les exigences du secteur privé est devenu la seule voie possible pour favoriser la prospérité et la croissance, choix plébiscité par les gouvernements de droite, de gauche et du centre. Et de préférence, en cédant au lobbying massif des plus grosses entreprises, elles qui bénéficient de 70 % des aides et de 90 % de leurs montants.
Pour faire avaler la pilule, c’est, ensuite, le mythe de la création d’emploi qui est agité. Les 19 milliards du CICE auront permis d’en créer ou d’en sauvegarder …100 000 ! Ce qui représente 190 000 euros par emploi. Il est difficile d’imaginer que tout cet argent ait servi uniquement à combattre le chômage, alors que dans le même temps des plans de licenciement ont été appliqués dans dix des quatorze plus grands groupes qui en ont bénéficié. Aussi, est-il possible de transformer la formule de Bruno Lemaire, notre ministre de l’Économie : « les dividendes d'hier sont les investissements d'aujourd'hui et les emplois de demain » en l’inversant : « les suppressions d'emplois d'hier sont les profits d'aujourd'hui et les dividendes de demain ».
Cette politique est marquée par la confiance aveugle accordée aux partenaires économiques qui se voient attribuer beaucoup d’aides sans aucune contrepartie, ni vérifications de leur utilisation. On est loin de la chasse aux fraudeurs des aides sociales qu’il s’agit de débusquer chez tout bénéficiaire, soupçonné de s’installer dans l’assistanat, alors même qu’une véritable addiction aux aides s’est emparée du monde de l’entreprise.
Enfin, vient la légende du ruissellement prétendant que l’enrichissement au sommet se déverserait, par simple effet de la pesanteur, vers les couches inférieures de la société. Certes, les bénéfices des entreprises du CAC-40 ont augmenté de 35 % en 2021, leur permettant à la fois de racheter leurs actions (ce qui en accroit la valeur) et d’augmenter de 40% les dividendes entre 2021 et 2023 (ils absorbaient 35 % des bénéfices pendant les Trente glorieuses contre 80 % aujourd’hui). Effectivement, la richesse des milliardaires français s’est accrue de 236 milliards pendant les dix-huit premiers mois de la pandémie. Sans doute, les revenus des patrons des groupes du CAC-40 ont augmenté de 29 % entre 2019 et 2022. Mais, au bas de l’échelle, on n’a pas vu grand-chose arriver, au cours de la même période.
Le Welfare State hérité de l’après-guerre (cet État providence qui protège les plus vulnérables, en redistribuant les ressources) est progressivement en train de laisser la place au Corporate State (cet État qui se met au service des profits des entreprises privées) concluent les auteurs.