Le travail est malade. Il nous fait souffrir
BELLEGO Maxime, Éd. De Boeck, 2021, 176 p.
Ces dernières décennies, le travail a changé, s’accélérant et devenant de plus en plus exigeant. Il suscite autant de souffrance que de bonheur. Bien sûr que le malaise ressenti n’est pas comparable à celui des ouvriers de Zola s’épuisant douze heures par jour. Il se manifeste plutôt sous la forme d’épuisement professionnel, de trouble anxieux et de dépression. Maxime Bellego, psychologue clinicien, nous en dresse un diagnostic précis et lucide.
Sa mise en garde est claire : il ne faut pas se tromper en ciblant le travailleur qui serait malade, mais prendre conscience que le travail lui-même qui est en cause. La violence qui lui est associée vient de loin. L’avènement du Taylorisme, à compter de 1880, se concrétise par la dépossession du savoir-faire, la parcellisation à l’extrême des tâches, la privation de toute créativité et initiative. Près de cent cinquante ans après cette organisation scientifique du travail, la situation s’est encore aggravée : intensification du rythme et des conséquences émotionnelles induites, manque d’autonomie, insécurisation, conflits de valeurs …
L’accomplissement professionnel, corollaire de l’estime de soi, est trop souvent synonyme de burn-out, poussant ceux qui le subissent vers la trilogie du « worhlessness » (je ne vaux rien), du « helplessness » (personne ne peut m’aider) et du « hopelessness » (désespoir). Même si chaque sujet est confronté à ses propres fragilités et difficultés d’adaptation, il est trop facile et fréquent de le culpabiliser, en le rendant seul responsable de son malheur. Car, les efforts individuels pour s’ajuster sont vains, quand la contamination vient d’un milieu malade et d’un contexte dysfonctionnel. Ce sont à la fois les facteurs intrinsèques et extrinsèques qu’il faut analyser pour comprendre les mécanismes de la souffrance au travail et non pas la renvoyer uniquement vers un problème personnel.
Entre 2006 et 2011, l’auteur a vécu de l’intérieur la gestion des ressources humaines de France Telecom à l’origine de trentaine de suicides. Cette stratégie managériale a valu aux dirigeants qui l’ont organisée une condamnation pénale. Ce terrible vécu associé à son expérience de thérapeute du travail lui permettent d’identifier les défenses à mettre en place pour prévenir l’épuisement professionnel.
Au niveau collectif d’abord. Le collectif, l’équipe, le groupe professionnel sont importants à solliciter et à interpeller, en ce qu’ils permettent de se décentrer de sa personne et d’interroger l’organisation globale du travail. Mais le rôle du soutien familial, amical et extra professionnel est tout aussi essentiel, pour que l’activité menée ne vienne pas envahir les autres sphères de l’existence.
Au niveau personnel, ensuite. Identifier la nature du stress auquel on est confronté : celui qui peut être considéré comme aigu étant bien moins problématique que celui qui est chronique (alors même que c’est être en tension permanente qui est assimilé à la compétence). Reconnaître les émotions induites et accepter la fatigue inhérente comme une anomalie. Tenter de repérer les points de rupture et s’arrêter avant de les atteindre. Changer les règles du jeu. Se rendre disponible à soi et prendre soin de soi. Et surtout à la fois savoir travailler sur ses défauts et ses limites, mais aussi et tout autant tenter d’agir sur les conditions de travail, le sens qu’il prend, les gratifications qu’il apporte.
Si le travail peut transformer une vie, transcender une existence et conduire à un épanouissement, il peut aussi transformer son quotidien en enfer, plonger dans une grave dépression et confronter à une incessante réalité traumatisante.