Les désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme
Philippe ASKENAZY, Seuil, 2004, 96 p.
La montée du chômage nous a habitués depuis trente ans à ne plus nous interroger sur les conditions de travail, mais sur le seul fait d’en avoir ou pas. Pourtant, les 3.000 accidents de travail qui ont lieu chaque année représentent 3 % de la richesse nationale, soit l’équivalent de plus d’une dizaine de jours fériés ! Le déni collectif de cette réalité tient à la conviction que l’abandon du taylorisme aurait notablement changé la donne : autonomie, responsabilisation, coaching, appui sur le réseau, utilisation massive des techniques de communication etc… auraient remisé la pénibilité d’hier, avec son lot de sujétions aux hiérarchies pesantes. Tout a commencé, au début des années 1980, par l’obligation faite aux constructeurs automobiles japonais, pour pouvoir vendre leurs produits sur le marché américain, de construire leurs véhicules sur place. C’est ainsi que Toyota introduisit outre atlantique ses techniques managériales : polyvalence et poly compétence des salariés (devant pouvoir changer de poste, en s’adaptant aux besoins), travail en équipe, production juste à temps ( suppression des stocks remplacés par le flux tendu), démarche qualité (recherche de la satisfaction du client)… le productivisme réactif qu’on pensait inadapté aux mentalités occidentales s’est imposé non seulement à l’industrie, mais s’est étendu au tertiaire, devenant bientôt le nouveau paradigme gestionnaire s’imposant sur tous les continents. Ces innovations comportent une dimension positive qu’on peut constater au quotidien, mais ont été aussi marquées par l’apparition d’effets induits négatifs, aggravant les nuisances et le stress. La chaîne des causalités est très complexe. Mais, l’organisation en équipe qui apporte plus d’autonomie, intensifie aussi bien plus le travail. Tout comme la rotation des postes qui enrichit les tâches mais rend plus difficile l’apprentissage des règles de sécurité. Entre 1990 et 2000, l’ensemble des indicateurs portant sur les conditions de travail a viré au rouge en Europe et plus particulièrement en France où les cas de maladie professionnelle ont été multipliés par dix. S’agirait-il simplement d’une plus grande sensibilité aux conditions de travail ? Les USA démontrent le contraire, eux qui ont vu, dans la même période, le taux d’accident de travail et de maladie professionnelle s’effondre dans une proportion allant de 30 à 45 % ! Aucune philanthropie en la matière, simplement la conviction que dans un environnement plus sûr et moins astreignant, la motivation des salariés progresse, l’absentéisme régresse et les coûts des assurances diminuent. Preuve que la qualité du travail doit être vue non comme un obstacle à la création des richesses, mais comme une clef de l’innovation. Du côté tant des partenaires sociaux que de l’Etat français, cette question reste superbement ignorée et renvoyée à un problème avant tout individuel relevant du médecin, du psychothérapeute, voire du juge.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°747 ■ 31/03/2005