Malheur aux vaincus. Ah, si les riches pouvaient rester entre riches

Philippe LABARDE et Bernard MARIS, Albin Michel, 2002, 185 p.

L’OCDE a pu calculer la croissance du monde depuis 1820. A l’exception des périodes de guerres mondiales, cette croissance a progressé de façon ininterrompue de 1,17% par an. Depuis 1973, ce n’est plus vrai. Les 144 pays les plus pauvres (qui représentent 28% du PIB mondial), ont vu le revenu moyen par tête baisser de 0,80% par an. Cette situation concerne aussi les pays riches. Aux USA, entre 1973 et 1995, le salaire horaire du travail non cadre a baissé de 14% alors que dans le même temps le PIB  par habitant s’est accru de 36%. La France a connu au cours du XXème  siècle une authentique régression des inégalités : les deux mille foyers les plus riches disposaient d’un revenu 300 fois plus élevé que la moyenne en 1900 et 50 à 60 fois en 2000. C’est le laminage des fortunes du aux deux guerres et à forte progressivité de l’impôt qui a  permis ce rééquilibrage, permettant ainsi, au cours de cette période, la multiplication par cinq du pouvoir d’achat des salariés. La politique sociale a permis à notre pays de limiter la grande pauvreté. Si 32% de la population vit aux USA en dessous du seuil de pauvreté, 14% des ménages sont dans cette situation dans notre pays, avant redistribution et 7% après. Mais la vague d’inégalitarisme a fini par gagner aussi l’hexagone : si de 1970 à 1990, seules leur ressources des plus pauvres ont augmenté d’environ 0,3 % par an, entre 1990 et 1996, celles-ci ont chuté de 20%. Le nivellement de la condition humaine est aujourd’hui remise en cause par les thuriféraires du marché qui opposent le salarié blotti contre un Etat- providence qui constituerait un frein à l’initiative et à la croissance et les nouveaux héros qui osent affronter le risque. Leur goût du risque se mesure notamment à la prise en charge des effets destructeurs de leur activité : explosion d’AZF, pollution de l’Erika, ou catastrophe de l’amiante. Cette maladie professionnelle n’inquiétera plus les entreprises coupables (2000 plaintes déjà déposées) depuis qu’un dispositif permet de faire indemniser les victimes par la solidarité nationale (sous la forme d’une surprime perçue au moment de la signature de tout contrat d’assurance). Et puis qui dira que les entreprises ne contribuent pas à l’intérêt collectif depuis que Philip Morris a publié des pleines pages de publicité, pour essayer de convaincre l’Etat tchèque de renoncer à ses projets de taxe sur le tabac. C’est vrai que grâce au cancer du fumeur, la collectivité allait économiser en frais de santé, de retraite et de logement social, près de 17,4 millions d’Euros ! « Le marché déshumanise l’humanité, en imposant aux hommes d’être isolés et de vendre ou d’acheter tout ce qui pourrait les lier aux autres » (p.169)  proclament les auteurs, dans un essai au vitriol. Et de réclamer haut et fort de subordonner la règle marchande aux règles politique, écologique, sociale et culturelle.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°630 ■ 18/07/2002