Quel travail pour les exclus ? Pour une politique de l’insertion durable

Pascal NOBLET, Dunod, 2005, 196 p.

Dans notre pays, les politiques d’insertion à destination des populations en difficulté, ont toujours été encadrées par deux principes intangibles : les aides accordées le sont dans un délai temporaire de plus en plus court et l’horizon vers lequel on tend est nécessairement l’accès au secteur marchand. Cette perspective est validée tant par la droite (qui privilégie la responsabilisation individuelle) que par la gauche (pour qui il revient non à l’Etat, mais aux patrons d’assurer le plein emploi) et se trouve sous-tendue par l’idéal républicain d’égalité. Dès lors, concevoir toute dérogation sous forme par exemple d’une discrimination positive constituerait une rupture du pacte sociale : ceux qui n’en profiteraient pas se trouveraient lésés et ceux qui en bénéficieraient s’installeraient dans une situation inacceptable d’exception qui se prolongerait. Ce sont justement tous ces convictions que l’auteur remet en cause. Son raisonnement est finalement assez simple. Il commence par rappeler ce que tout le monde sait : le caractère totalement illusoire du projet de retour à l’emploi de tous dans le secteur marchand. Dès lors que l’on convient que c’est là une chimère, l’action sociale déployée sur cette base n’est pas autre chose qu’une politique d’abandon différé. Le secours temporaire une fois terminé provoque le retour à l’inactivité et à la misère. On se trouve dans une situation où ce ne sont pas les personnes en demande d’insertion qui renoncent au travail pour profiter de l’assistance comme on le dit trop souvent, mais c’est la société qui les contraint à cette situation, en créant des emplois aidés qui, outre les conditions de rémunération précaires qui les caractérisent, sont limités dans le temps : le droit au travail et au logement est remplacé par des secours précaires car ponctuels et transitoires Que faudrait-il faire alors ? Tout d’abord, pérenniser les emplois aidés, en ne les limitant pas exclusivement à une logique de sas devant déboucher sur un emploi ordinaire, mais en les transformant en un mode salarial à part entière, partie prenante de la protection sociale, permettant à des familles de vivre de leur travail et non de subsides. Après tout, le fait d’être aidé par l’Etat n’est pas toujours une situation honteuse : elle s’applique déjà aux enfants, aux vieillards sans ressource et aux personnes porteuses de handicap. On pourrait ensuite favoriser systématiquement l’accès des personnes les plus en difficulté aux emplois du bas de l’échelle des trois fonctions publiques. On pourrait enfin rendre attractive toute situation de retour à l’emploi en la distinguant nettement du non-emploi. S’il est juste qu’il y ait une différence entre la rémunération de l’emploi marchand et celle de l’emploi aidé, il n’est pas normal que l’emploi aidé soit rémunéré dans des conditions proches de celles du revenu minimum. Tout cela ne constituerait pas une révolution : ce sont des politiques déjà engagées qu’il faudrait amplifier.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°793 ■ 13/04/2006