Chômage, des secrets bien gardés. La vérité sur l’ANPE

Fabienne BRUTUS, Jean-Claude GAWSEWITCH éditeur, 2006, 271 p.

L’ANPE n’a été épargnée ni par l’explosion du nombre des chômeurs, ni par la dérive libérale. L’auteur, elle-même conseillère de l’agence, nous fait ici un récit guère rassurant de cette évolution. Désarmée face à la montée de la précarité, cette institution semble surtout préoccupée par le souci de contenir des chiffres qui doivent rester là où on leur demande de rester. Ainsi, de l’échelle conçue initialement pour tenir compte des fluctuations saisonnières. Seules sont comptabilisés les personnes sans emploi, immédiatement disponibles, recherchant un CDI à temps plein. Celles à la recherche d’un temps partiel ou d’un contrat saisonnier, non disponibles immédiatement ou possédant déjà un emploi (qu’elles veulent changer) ou encore ayant travaillé 78 heures dans le mois précédent se répartissent dans sept autres catégories, sans pour autant apparaître dans les statistiques officielles. On le comprend : si on ne se limite pas à la seule catégorie 1, mais que l’on cumule l’ensemble des catégories, on passe de 10% de la population au chômage à 15 % ! Et en ajoutant les bénéficiaires du RMI, cela représente un total de 5 millions de personnes sur les 27 millions de la population active. Mieux vaut donc surfer officiellement sur la crête des 2 millions. Les directeurs de l’agence n’hésitent pas à demander à leurs agents de « nettoyer » les statistiques, par un glissement de la catégorie 1 vers les autres. Fabienne Brutus décrit bien le quotidien de ces conseillers impuissants face à la pénurie d’offres d’emplois, partagés entre deux figures (celle de contrôleur et celle d’accompagnateur humaniste) et divisés entre les deux dimensions de leur métier (celle d’assistant social et celle de contrôleur). On trouve autant de conseillers compatissants que d’autres qui, à défaut de pouvoir trouver du travail à celui qui en attend, se transforment en inquisiteurs à la recherche des « faux chômeurs ». Les tricheurs existent, mais ils sont en infime minorité : seuls 55,3% d’entre eux bénéficient d’une indemnisation. « C’est souvent de part et d’autre du guichet que la souffrance s’est installée. L’un dit le manque du travail, le besoin d’être attendu quelques part tous les matins. L’autre dit le tourment du travail, la bataille perdue d’avance, la contribution aux trucages, au vaste canular » (p.110) L’avenir ne s’annonce guère mieux. On évoque la fin du monopole. Ce qui prête à sourire, tant il reste des chômeurs dont le privé n’a que faire, son souci immédiat étant la rentabilité de son action. Ce qui n’empêche pas de banaliser ses méthodes : enchères inversées sur internet (le salarié le moins exigeant obtient le poste), « job dating » (7 minutes de face à face pour convaincre un employeur), voire même à l’ANPE, le surbooking administratif (convoquer à la même heure deux chômeurs). La notion de choix glisse progressivement vers la coercition totale : il s’agit d’asservir l’humain au marché.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°861 ■ 15/11/2007