Le salarié de la précarité

Serge PAUGAM, puf, 2000, 443 p.

Face au fléau que constitue le chômage, on a cru, au cours des vingt dernières années, que l’essentiel était de permettre aux exclus de retrouver un emploi, seul moyen non seulement de rétablir leur autonomie financière, mais aussi de réinstaurer leur dignité. Il est temps d’ouvrir les yeux, l’emploi ne met à l’abri ni de la pauvreté matérielle, ni de la détresse psychologique, ni de la souffrance : la forte croissance du temps partiel contraint (passé de 800.000 emplois à 1,4 million, en moins de dix ans), l’augmentation des contrats précaires (de 737.000 en 1982 à 2 millions en 1998), les rétributions dérisoires, la pression de l’organisation du travail intensifiant le stress et la pénibilité, l’absence d’intérêts des tâches , la dévalorisation morale des salariés, le blocage des salariés ... constituent autant de circonstances qui démontrent que le « travail peut être un facteur d’épanouissement mais aussi de frustration, voire d’aliénation » (p.95) C’est ce que démontre avec maestria, Serge Paugam dans un ouvrage au style lumineux et à l’écriture d’une grande transparence. L’auteur définit deux axes permettant d’établir cette intégration professionnelle qui passe par l’affirmation de soi et la garantie de sa dignité dans le travail : la satisfaction et stabilité. La mesure de la satisfaction peut être effectuée au travers de trois domaines : le plaisir de l’acte même du travail (« homo faber »), dans sa rétribution (« homo oeconomicus ») et dans les relations sociales qu’il permet de tisser (« homo sociologicus »). Quant à la stabilité, elle se mesure dans l’absence de menace de suppression d’emploi et aux perspectives de promotion qui constituent autant de rétributions différées. A partir de ces facteurs, l’auteur définit quatre situations d’intégration professionnelle. C’est tout d’abord l’intégration assurée qui cumule la satisfaction au travail et la stabilité de l’emploi.  C’est ensuite l’intégration incertaine, marquée par une satisfaction négative, mais une stabilité garantie. C’est encore l’intégration laborieuse qui propose certes un emploi stable mais une grande insatisfaction au travail. Dernier cas de figure, l’intégration disqualifiante où l’on trouve  à la fois l’insatisfaction au travail et l’instabilité de l’emploi. L’auteur illustre chacune de ces situations, en décrivant sept entreprises qui démontre comment se manifeste ces différentes formes d’intégration (parmi lesquelles, une entreprise d’informatique, EDF-GDF, une caisse de la MSA, une entreprise de construction de meuble ou encore agro-alimentaire). La lecture de cet ouvrage permet d’affirmer que la précarité du salarié ne recouvre seulement la menace sur l’emploi, mais correspond aussi à un travail sans intérêt, mal rétribué ou faiblement reconnu. Il est curieux, à cet égard, de constater que pour les chercheurs anglais, la précarité tient au seul niveau de rémunération, considéré comme l’unique moyen de compenser l’insécurité de l’emploi considérée comme une règle incontournable. Au travers d’ enquêtes de l’INSEE ainsi que des témoignages de mille salariés,  Serge Paugam démontre que les trois dernières formes d’intégration (incertaine, laborieuse et disqualifiante), concernent 58% de l’ensemble des salariés qui vivent donc un sentiment d’inutilité, une dégradation des conditions de santé, une perte de confiance en soi, une détérioration tant des relations au sein du couple qu’entre parents et enfants.  L’amélioration des conditions d’épanouissement dans le travail continue donc à être d’une actualité brûlante !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°573 ■ 19/04/2001