Le travail jetable, sur-travail, sous-travail ou sans travail
Gérard FILOCHE, Ramsay, 1997, 306 p.
L’annonce d’une loi sur la réduction du temps de travail nous a valu de la part du patronat français une avalanche de gérémiades dont le ton n’est guère différent de celui employé au XIX ème siècle quand la réglementation du travail des enfants allait à coup sûr ruiner l’économie. On lira avec intérêt l’ouvrage de Gérard Filoche qui rétablit une réalité que nous cachent les chantres du néolibéralisme. L’auteur exerce le métier d’inspecteur du travail. Il ne se situe pas dans la revendication, mais dans l’application du code du travail. Il est confronté à l’incroyable arbitraire de certains chefs d’entreprise qui se comportent en véritables despotes de droit divin. Ainsi de ces coiffeurs qui imposent à leurs employés dix à douze heures de travail quotidien, six jours sur sept. Ou de cet atelier de haute couture contrôlé, après avoir obtenu une dérogation pour atteindre 58 heures au moment de la présentation d’une collection et qui faisait faire jusqu’à cent heures à un personnel mangeant et dormant sur place. C’est ainsi entre cinq et sept millions de salariés qui travaillent de 45 à 60 heures par semaine. Ce surtravail atteint 1.200.000 heures soit 680.000 équivalents temps plein. C’est que certains employeurs entendent rester maître chez eux et refusent de se faire imposer des règles de l’extérieur : élection de délégué du personnel ? Affichage des horaires ? Paiement des heures supplémentaires ? Création d’un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ? “ Vous n’y pensez pas, Monsieur l’Inspecteur, c’est avec ce genre de règles ringardes, qu’on ruine les entreprises ”. C’est bien là le rêve du patronat le plus libéral : déréguler à outrance. La prétention de réduire le chômage en échange de plus de liberté de gestion ? La suppression de l’autorisation administrative de licenciement devait entraîner la création de 600.000 emplois. Elle aboutit à un pic de 400.000 licenciements supplémentaires. Une concurrence internationale implacable ? En 1996, on a compté jusqu’à 134 milliards de francs d’excédent du commerce extérieur. Rien d’étonnant à cela : depuis 10 ans, les salaires ont diminué de 10 % et les profits augmenté de 10 %, sans compter les 125 milliards d’exonération diverses fournies par les plans-emploi des gouvernements successifs. Travail le dimanche, multiplication des accidents dans le bâtiment et les travaux publics, pratiques douteuses chez Mac Do, maladies professionnelles liées à l’amiante… l’auteur décrit longuement la lourde tâche des 1245 inspecteurs et contrôleurs qui font face au 1,2 million entreprises du secteur privé : véritable résistance face à une délinquance moins poursuivie que celle du moindre voleur à la tire.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°430 ■ 19/02/1998