La bourse ou la vie - La grande manipulation des petits actionnaires

Philippe LABARDE, Bernard MARIS, Albin Michel, 2000, 200 p.

Voilà un ouvrage sur l’économie du type qu’on aimerait lire un peu plus souvent. Les auteurs y prennent délibérément partie contre ce courant dominant qui voudrait nous faire croire que le marché et le contrat seraient l’unique et l’ultime règle de vie que pourraient établir les êtres humains entre eux. Contestant ce postulat, ils nous proposent une démonstration des plus revigorante quant aux mutations récentes de nos sociétés. Au départ de la nouvelle économie, expliquent-ils,  il y a une fantastique révolution technique marquée par l’explosion des nouvelles technologies et le développement des services. Puis, il y a eu cette réorganisation de la production basée sur les flux tendus et la demande des consommateurs.  Il s’en est suivi une importante amélioration de la productivité et de la rentabilité du capital et un accroissement considérable de la part des profits dans le revenu national (faisant diminuer d’autant la proportion des salaires). Or, affirment encore les auteurs, la seule question qui vaille en économie politique est celle du partage des richesses. L’équilibre qui avait prévalu durant les trente glorieuses entre une croissance des revenus du travail et la progression de la productivité n’est plus valable. Les salariés se retrouvent confrontés à trois modifications majeures de leur statut. C’est d’abord le développement de la flexibilité et la précarité du travail : intérimaires, contrats à durée déterminée, apprentissages, stagiaires concernent aujourd’hui en France 15% des salariés. C’est, ensuite, l’émergence des stocks-options, cette modalité de rémunération qui consiste à verser à côté du salaire, des actions de l’entreprise qui l’emploie (la masse des dividendes versés par les sociétés cotées en bourse a triplé entre 1992 et 1998). C’est enfin la menace de remplacement de la retraite par répartition par la retraite par capitalisation, les fameux fonds de pension.  Ce serait le triomphe du citoyen boursier, contrôlant le marché, qui viendrait remplacer le salarié. La réalité est bien entendu toute autre : aux USA, 10% des ménages possèdent 86,8% des actions ! La démonstration de Philippe Labarde et de Bernard Maris est particulièrement éclairante en ce qui concerne les fonds de pension. Ceux-ci constituent pour eux un fantastique racket monté par le lobby des assurances. Le prétexte utilisé réside dans le vieillissement de la population (aujourd’hui deux actifs pour un inactif contre un pour un, en 2040). On évoque couramment des solutions drastiques pour enrayer cette dérive : retarder l’âge de la retraite, augmenter les cotisations des actifs ou encore diminuer le taux des pensions. Il suffirait peut-être de faire cotiser aussi les profits pour régler le problème (l’accroissement de la productivité permettant par ailleurs de compenser l’augmentation du nombre d’inactifs). Surfant sur cette peur, les fonds de pension proposent une cotisation individuelle qui serait resservie à l’âge de la retraite. Mais là aussi, la réalité zest toute autre : ainsi, aux USA des 15%  de rentabilité exigée par les banques d’affaire chargées de gérer le sommes ainsi collectées, les retraités en perçoivent à peine 5%, obligés dans beaucoup de cas à travailler pour compenser la faiblesse des pensions.

 

Jacques Trémintin – Novembre 2000