Les disparues d’Auxerre

Corinne HERMANN, Philippe JEANNE, Ramsay, 2001, 351 p.

L’Yonne est un département tranquille. Trop peut-être ... Derrière la sérénité de sa préfecture, Auxerre, se cache une réalité bien sordide. Elle nous est révélée tout au long d’un récit à deux voix : celle d’une juriste et celle d’un ancien directeur d’IME. Quelles que soient les qualités des journalistes d’investigation, rien ne remplace la sensibilité de l’acteur de terrain, lui-même, quand il prend la plume. Et c’est bien cette finesse d’analyse et d’approche qui permet de décrypter les aberrations qui jalonnent cette triste chronique tant  au  niveau judiciaire qu’en matière éducative. L’enquête proposée ici montre comment la justice ou une association gestionnaire d’établissements et de services d’enfant et d’adultes handicapés mentaux peuvent se discréditer d’une manière peu imaginable. Rappelons les faits. Entre 1977 et 1981, pas moins de 7 jeunes femmes âgées de 15 à 30 ans disparaissent. Leur point commun ? Avoir été placée à la DDASS, être, pour certaines d’entre elles, handicapées mentales et surtout avoir toutes croisé le chemin du même sinistre personnage : Emile Louis. Pendant toute cette période se cumule une série invraisemblable de dysfonctionnements. Le directeur de l’IME se contente de constater ce qu’il appelle des fugues, mais ne signale les disparitions ni à la police, ni à la justice. Pierre Charier qui, par ailleurs, n’hésite pas à adresser un courrier à une famille pour récupérer une blouse qui appartient à l’établissement et qui a été emmenée par erreur par une élève, ne s‘inquiète nullement de ces absences, cherchant surtout à officialiser auprès de la DDASS leur radiation de ses effectifs. Ce Monsieur sera condamné en 1992 à 6 années d’emprisonnement pour attentats à la pudeur avec violence sur des mineurs de son établissement. La justice quant à elle, qui en d’autres lieux et d’autres circonstances, n’a pas hésité à interpeller voire incarcérer des travailleurs sociaux, leur reprochant d’avoir trop tardé à signaler des maltraitances avérées ou supposées, va faire preuve ici d’un acharnement particulièrement spectaculaire à ne pas instruire, à classer sans suite et à refuser d’entendre les plaintes déposées par les familles des victimes. Il faudra toute la mobilisation d’une association de défense constituée en 1992 et le relais pris par les média, pour qu’enfin, les actions soient entamées qui déboucheront en décembre 2000, à l’arrestation du meurtrier présumé qui avoue aussitôt être l’auteur des 7 meurtres. L’inertie et l’incompétence des responsables administratifs, éducatifs et judiciaires auront peut-être permis à Pierre Louis de bénéficier de la prescription. Vingt ans s’étant écoulés entre les actes commis et la procédure judiciaire engagée, le meurtrier des « disparues de l’Yonne » pourrait bien profiter d’une ordonnance d’un non-lieu. Les ministères de la justice et des affaires Sociales ont diligenté des inspections. Le parquet et l’association gestionnaire qui ont délibérément ou par incompétence, laissé les crimes se commettre, passeront-ils eux aussi au travers des mailles du filet ?

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°586 ■ 30/08/2001