L’atelier du juge, à propos de la justice des mineurs

Laurence BELLON, érès, 2005, 246 p.

Notre société laisse peu de place entre le démon en liberté et l’ange déchu, entre la victime et le bourreau. Il revient pourtant à la justice des mineurs d’avoir à gérer l’un et l’autre, souvent confondu, en confiant à un même magistrat intervenant à la fois au civil et au pénal, les charges de juge d’instruction, de juge de tribunal correctionnel, de juge d’application des peines, de juge des mesures éducatives et de juge de tutelle aux prestations familiales : le ci-devant juge pour enfants. L’auteure, vice-présidente au tribunal pour enfants de Lille, nous convie à un voyage à la rencontre d’une fonction qui se trouve au cœur de la complexité de la vie lorsque celle-ci croise la violence, la détresse, la souffrance ou l’acte du mineur qui transgresse la loi. Pour ce qui est de la délinquance, il y a l’indétrônable ordonnance de 1945, tant décriée, mais toujours vaillante, et qui, malgré ses dix sept réformes, continue à alterner mesures répressives et mesures éducatives (qui se répartissaient en 2003 à raison respectivement de 43% et de 57%). Son fondement, c’est la conviction que transmettre la loi pénale à un mineur, c’est s’engager dans un long processus d’éducation et de passation de valeurs : « la pédagogie est l’art de la répétition… non pas à l’identique, mais en variant et en adaptant les phases d’explication et de sanction et en aménageant une progression dans les réponses apportées aux actes de délinquance » (p.66) Mais, le juge des enfants ne fait pas qu’intervenir face à la délinquance. Il est aussi le magistrat de la protection de l’enfance victime. Il a à disposition pour cela un large cadre de définition qui lui permet d’entrer dans la complexité et de ne pas se limiter à la seule dimension de la faute des parents. C’est d’abord et surtout le procès d’assistance éducative qui ne vient sanctionner ni les familles, ni le comportement de l’enfant. Malheureusement, le dispositif français a placé cette mesure en situation d’hégémonie tant par rapport à la panoplie judiciaire diversifiée permettant de limiter l’autorité parentale (délégation, retrait partiel ou total, tutelle), au prétexte du potentiel qu’il entend développer chez les parents, que par rapport à l’action administrative négociée largement marginalisée. L’auteure ne se contente pas d’un état des lieux. Elle développe largement les projets de réforme en cours, déplorant au passage l’absence grandissante de l’Etat comme autorité régulatrice. L’écart de 1 à 12 en terme de taux de placement selon les départements, démontre que la liberté accordée aux politiques locales de protection de l’enfance risque d’aboutir à une profonde inégalité territoriale, si le pouvoir central disparaît dans son rôle de force de contrôle et de référentiel de qualité, contrairement à ce qui se passe dans des pays fortement décentralisés comme la Grande Bretagne ou l’Allemagne.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°767 ■ 29/09/2005