La Justice a-t-elle besoin d’éducateur? De l’ES à la PJJ

Dominique TURBELIN, Erès, 1995.

Marquer les 50 ans de l'ordonnance de 1945, c'est aussi commémorer la naissance de l'Education Surveillée devenue en 1990 Protection Judiciaire de la Jeunesse. Dominique Turbellin, éducateur, syndicaliste et formateur au sein de cette administration, nous propose un essai sur ce demi-siècle.

Quelle est la situation au sortir de la guerre ? Il y a tout d'abord le clivage public/privé. Depuis 1850, l'Etat a fait largement appel à l'initiative privée. Les plus durs de la population concernée sont pris en charge pas la collectivité. Les situations relevant moins de la délinquance reviennent à un privé largement surreprésenté. Depuis, peu de changement : si en 1958 ce dernier a en charge 5 fois plus de jeunes que le premier, en 1990 il assure encore 140 000 des 200 000 aides éducatives.

Il y a ensuite les difficultés de recrutement des personnels, difficultés qui subsisteront jusqu'en 1965. Ainsi, en 1957, sur 110 postes mis au concours, il y a 66 candidats et 33 admis ! En fait, l'encadrement est largement constitué dans les premières années par les moniteurs de l'administration pénitentiaire.

Les efforts de l'Etat tournés pour l'essentiel vers la reconstruction, ainsi que la stagnation de la délinquance expliquent la pénurie de moyens des premières années et la faiblesse des expérimentations pédagogiques. Malgré les initiatives prises très tôt, telles que les Centres d'Accueil et d'Observation ou des postes d'Educateurs en Milieu Ouvert, c'est néanmoins le modèle des Internats Professionnels d'Education Surveillée (IPES) qui reste dominant et ce, jusque dans les années 70.

Le bureau de placement de l'administration centrale à Paris recueille les demandes adressées par les Juges des Enfants et décide des affectations des mineurs. Le principe éducatif est clair : les jeunes sont mis à l'écart de leur milieu naturel, il s'agit alors de leur inculquer un métier et de nouvelles habitudes de vie par des moyens coercitifs. La violence institutionnelle est inévitable, la pédagogie, "musclée" : correction, humiliation, mitard, crânes rasés, ... est monnaie courante.

Mais parler de l'Education Surveillée c'est aussi évoquer un corps professionnel très syndicalisé qui tranche par ses actions avec le reste de l'administration judiciaire toute empreinte de discrétion et de neutralité. Après 1968, on parlera d'une véritable prise du pouvoir des personnels, le Syndicat National des Personnels de l'Education Surveillée devenant un partenaire direct du Garde des Sceaux par dessus la Direction.

L'éclatement des grands IPES, l'émergence des petites unités d'hébergement, l'importance prise par le Milieu Ouvert sont les étapes suivantes. Pourtant, alors que la formation des éducateurs justice a servi de modèle à la construction du Diplôme d'Etat d'Educateur Spécialisé, nos collègues de la PJJ restent les seuls travailleurs sociaux à ne bénéficier d'aucune reconnaissance de leur qualification par un quelconque diplôme professionnel.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°296  ■ 02/03/1995