La zonzon de Fleury
Jean-Louis Daumas, Pierre Mezinski, Calman-Lévy, 1995, 204 p.
Quand les gardiens du Centre de Jeunes Détenus de Fleury Mérogis voient débarquer leur nouveau directeur, ils ne sont guère rassurés. Pensez donc, un ancien éducateur: cela promet en laxisme et laissez-aller ! Lors d’une des premières séances du prétoire à laquelle il assiste (ce tribunal disciplinaire interne à la prison), l’ancien travailleur social se retrouve face à face avec l’un de ses anciens clients: « qu’est-ce que tu fous là ? » s’étonne alors l’adolescent. Stupéfaction de l’assistance ... Mais Jean-Louis Daumas ne se trompe pas de casquette. Il assume pleinement son rôle. La logique de sa prison, c’est bien l’installation du détenu dans la dépendance absolue. Elle n’a pas pour objectif de préparer des hommes libres, mais de les dompter en les soumettant à une stricte discipline (défilés par deux, mains hors des poches, rasés de près), à une vie réglée comme du papier à musique ( cours, atelier, promenades, parloirs, repas ... ont lieu à heure fixe et immuable) et à des sanctions en cas de transgressions (comme ce quartier disciplinaire, le ‘’tarmi’’ -mitard- qui est si craint par les jeunes). Ce directeur n’est pas non plus dupe: il a bien conscience que la prison cause aux adolescents des dégâts irréparables. Enfermer des 13-14 ans est loin d’être la solution idéale. Mais s’ils sont là c’est bien que leurs passages à l’acte a été d’une extrême gravité. Les toxicomanes eux, représentent un tiers des incarcérés. Ils ont commis des crimes ou délits mais aussi une simple infraction à la législation sur les stupéfiants. Il y a aussi les clandestins (20% du total) qui ont le seul tort d’être en situation irrégulière. Après avoir bourlingué sur les mers, traversé les continents et voyagé au fond des camions, ils se retrouvent entre quatre murs. Puis viennent les meurtriers et le tout-venant de la violence urbaine. Pour tous ces adolescents, ce n’est pas le pourissoir qu’il faudrait mais un lieu où faire le point en entamant un dialogue avec eux-mêmes. Cela Jean-Louis Daumas en est profondément convaincu. Pourtant il y a du chemin de la coupe aux lèvres. Idéaliste, ce directeur hors du commun l’est, mais ce n’est pas un rêveur. C’est aussi un pragmatique. Il réussit à mettre en place les « sorties en plein air » fréquententées par des jeunes détenus: escalade, spéléologie, randonnée, VTT et même ascension du Mont Blanc. Ces actions offrent des expériences irremplaçables: gouverner sa peur et ses émotions, respecter les règles, le matériel, la parole donnée et les autres. Il y eut bien un dérapage lorsque deux jeunes ayant fugué, ils agressèrent un couple de la région visitée. Mais pour une séance qui a dérapé, trente se déroulèrent sans aucune anicroche.
La prison doit évoluer: Jean-Louis Daumas en est convaincu. Il voudrait qu’on puisse inscrire à son fronton: « Ici, on ne jette plus les hommes à la poubelle ». Ce livre est l’illustration d’une action réformatrice et humanisante qui ne peut qu’aider au changement des mentalités et de la réalité quotidienne.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°302 ■ 13/04/1995