Le coup de grâce

Louis Pérégo, Editions de l’Atelier (12 avenue soeur Rosalie 75013 Paris), 1995, 221 p.

Un armurier tire du troisième étage sur deux cambrioleurs en pleine action dans un commerce voisin. Il en tue une et blesse grièvement l’autre. Cela lui vaudra ... 18 mois de sursis. La même cour d’assise est appelée à juger un cambriolage de banque. Là c’est une autre histoire: 5 et 12 ans de prison. Ainsi va la justice de notre pays qui attache plus d’importance au fric qu’à la vie humaine.

Parmi les auteurs de ce braquage, Louis Pérégo. A 46 ans, il a passé 18 ans de sa vie derrière les barreaux. Tout au long de son incarcération il a entrepris des études, franchissant toutes les étapes du CAP à la maîtrise de psychologie, et ce, malgré les difficultés opposées par la lourde administration pénitentiaire.

Sorti en 1985, ses tentatives de réinsertion se heurtent à la lourdeur de son casier judiciaire... c’est alors la récidive. Il est arrêté en 1987 en flagrant délit. Cette nouvelle détention est l’occasion pour lui de s’adonner avec succès à des travaux d’écriture: il rédige son premier livre « Retour à la case prison» (1990) du fond de sa cellule. Aujourd’hui, avec « Le coup de grâce»  se confirme une vocation d’écrivain. L’auteur nous fait vivre le monde carcéral de l’autre côté de la barrière. D’une écriture fluide, ce récit accroche et séduit. Ici pas d’aveuglement, ni de haine nés du désespoir, mais une lucidité froide et impressionnante. Louis Pérégo représente le prototype-même du détenu embarrassant: instruit, connaissant bien le fonctionnement de l’Institution, populaire auprès des autres détenus, militant mais pas tête brûlée. Le regard qu’il pose sur l’univers carcéral vaut vraiment qu’on s’y attarde. Tout passe au crible de sa plume acerbe: la bêtise et l’arbitraire de certains gardiens, des codétenus qui ne sont plus de simples « récidivistes » ou « repris de justesse», mais prennent figure humaine avec leur histoire, les difficultés rencontrées pour la moindre amélioration (que de ruse pour transférer 4 fauteuils à moitié défoncés du local de peinture où ils sont inutiles dans un coin à la bibliothèque où l’auteur est employé à un moment donné) ...

Les Travailleurs Sociaux ne sont pas oubliés. Pétris de bonnes intentions à leur arrivée, « ils se trouvent vite écartelés entre la dévorante nécessité de ceux dont ils sont les intermédiaire obligés et l’imperturbable inertie de l’appareil judiciaire ». Certains se consument en pure perte ou refusent de servir de caution et partent. D’autres établissent une confortable ligne de carrière en lui sacrifiant leur éthique.

Le 4 décembre 1990, Louis Pérégo bénéficie d’une liberté provisoire qu’il met à profit pour se réinsérer d’une façon tout à fait exemplaire. Animateur-radio, pigiste, secrétaire d’édition dans la maison qui a fait paraître son premier ouvrage, il intervient même dans plusieurs écoles d’éducateurs (Vaucresson, Buc, Charenton). Cette reconversion réussie n’impressionnera guère le jury populaire qui le condamnera en 1992 à 12 ans de réclusion criminelle.

Lorsque Louis Pérégo écrit les dernières lignes de son livre, sa libération conditionnelle lui a été refusée. Ce n’est qu’un an plus tard, le 23 Décembre 1994 qu’il en bénéficiera. Aujourd’hui, il a retrouvé sa famille et ses activités.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°314 ■ 06/07/1995