Ecriture et secret
Sous la direction de Catherine BLATIER et Jacques BOURQUIN, CNFEPJJ, 1995, 160 p.
L’Ordonnance du 2 février 1945, en instaurant la fonction de Juge des Enfants, a voulu donner à la justice des mineurs un véritable chef d’orchestre. Et celui-ci a des pouvoirs inconnus de tous ses collègues. Il est, en effet, à la fois juge du civil (au titre de la Loi de 1958 sur la protection de l’enfance en danger) et juge du pénal (concernant donc l’enfance délinquante). Il assure l’instruction de ses dossiers, leur jugement et même le suivi de l’application des peines. Cette toute-puissance est compensée par la possibilité d’appel qui frappe toutes ses décisions (même si cette procédure n’est pas suspensive en matière de mesures éducatives). En 1986, la loi est venue limiter à deux ans la durée maximum de ses ordonnances. Tout renouvellement nécessitera alors le réexamen de la situation et -selon la personnalité du magistrat- l’audition systématique ou non du mineur et de sa famille. Dans ce type de fonctionnement, l’écrit rendu par le travailleur social mandaté pour suivre l’enfant joue un rôle essentiel.
Le Centre National de Formation et d’Etude de la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Vaucresson (CNFEPJJ) a consacré l’un de ses ouvrages récents à cette question fort intéressante sous le titre « Ecriture et secret ».
Le rapport qui est communiqué au juge poursuit deux objectifs: l’évaluation de la situation et le compte-rendu du travail éducatif réalisé avec le mineur. Rien ne devrait y être écrit que les gens ne puissent entendre et que le juge ne puisse préciser dans ses attendus. Pourtant l’étude qui a été réalisée à partir de 60 dossiers d’assistance éducative montre à la fois une grande diversité et des constantes. Diversité quand il s’agit du plan, de la longueur et des méthodes d’exposé. Constantes à propos des formules de prudence, des reprises de mots ou d’expressions et des difficultés à nommer, désigner et décrire les faits. La fréquence de l’aléatoire, de l’incertain, du subjectif, du contradictoire et de l’insaisissable liasse à penser que le plus important est tu. Cet « essentiel » fait-il l’objet de communications orales entre le juge et le travailleur social ? La pratique est courante. Mais c’est là aller à l’encontre du principe du contradictoire qui veut que le conseil du justiciable puisse avoir accès à tous les motifs et arguments qui vont fonder la décision du juge. Autre dysfonctionnement, le dossier du mineur n’est pas accessible par la famille, sauf par l’intermédiaire d’un avocat. Comme celui-ci n’est quasiment jamais présent lors des audiences de cabinet au cours desquelles le juge va statuer en matière d’assistance éducative ... Tout cela rend la procédure très inquisitoire: les informations relevant de fait du secret entre le magistrat et le travailleur social, l’aspect peu contradictoire font que les garanties offertes aux familles ne sont guère suffisantes. L’ouvrage se termine sur un certain nombre de propositions susceptibles de rétablir le principe de droit: libre accès de la famille au dossier, assistance systématique d’un avocat dans le cabinet du juge, présence à l’audience du rédacteur de l’écrit ... De quoi, finalement, préserver les intérêts du justiciable.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°341 ■ 21/02/1996