Les jeunes face à la justice pénale - Analyse critique de l’application de l’ordonnance de 1945

Francis Bailleau, Syros, 1996, 236 p.

On assiste depuis quelque temps à un battage médiatique autour de l’Ordonnance de 1945 qui est présentée comme inadaptée à l’évolution de notre société. Pire, c’est un tableau apocalyptique qui nous est souvent dressé de ces adolescents délinquants interpellés en flagrant délit et qui seraient relâchés aussitôt par une justice  laxiste. A entendre certains, ce serait le règne de l’impunité et la domination de l’insécurité avec comme principales coupables une déficience, voire une démission des Institutions. Le livre de Francis Bailleau vient à point nommé pour nous aider à sortir de cette « opinion » si couramment répandue.

Premier enseignement: attention aux chiffres officiels. Ils ont pour fonction de mesurer non pas l’activité délinquantielle mais celle des administrations chargées de la gérer. Il y a là plus qu’une nuance. Si l’on suit le circuit du délit, on s’aperçoit qu’il y a tout d’abord le dépôt de la plainte (qui n’est pas systématique). Puis vient la transmission au Parquet (30 à 40% des plaintes sont classés sans suite par les services de police et de gendarmerie). Ce dernier va saisir le Juge des Enfants dans 70 à 80% des cas. On comprendra que la mobilisation et la motivation de chacun à ces différents niveaux vont jouer sur les chiffres officiels de la délinquance... On peut aussi concevoir qu’il y ait matière à manipulation des données tant pour peser sur les choix budgétaires que sur l’opinion publique.

Peut-on parler de rajeunissement de la délinquance ? Pas vraiment si on tient compte de l’accroissement des jugements des plus de 16 ans par rapport aux moins de 16 ans: trois fois plus en 1952, 24 fois plus en 1990 !

Peut-on parler de banalisation de la violence ? S’il y a effectivement augmentation du nombre de mineurs jugés, il y a stabilité des types de contentieux. Trois quarts de l’activité policière et judiciaire continuent à être consacrés à la répression des comportements d’appropriation frauduleuse.

Peut-on parler d’envahissement des actes délinquants ? Certaines études ont montré qu’en fait, 50% de l’activité des juges pour enfants est occupé par 16% des mineurs signalés. Un petit groupe donc avec une grande visibilité sociale.

Peut-on parler d’impunité ? Les peines de prison sont en augmentation constante.

Par contre ce qui a changé depuis 50 ans, c’est bien l’effondrement des mesures éducatives au pénal: 24,70 % en 1960 contre 5% en 1990. Les jugements faisant état de l’absence de toute mesure quelle qu’elle soit sont passés quant à eux (pour les mêmes dates) de 55% à 70%. En dessous de 16 ans, il n’y a le plus souvent ni mesure pénale, ni mesure éducative. Au-dessus de 16 ans, c’est plutôt l’alternative non-intervention ou bien mesure pénale.

L’ordonnance de 1945 souffre donc non pas d’une inadaptation mais bien d’une inapplication ! Qu’il est loin le temps (entre 1945 et 1958 date à laquelle une ordonnance permit d’ouvrir un dossier au civil en « assistance éducative ») où les magistrats de la jeunesse se saisissaient d’un « délit-prétexte » pour faire bénéficier au mineur des réponses éducatives du texte de 1945 ! L’esprit de cette réforme qui consistait à préconiser une justice résolutive (résoudre la situation qui a amené le mineur à son acte) a été trahi au profit d’une logique rétributive (un acte = une peine). L’auteur appelle les acteurs du milieu judiciaire à dépasser ces deux options au profit d’une justice réparatrice qui se fait jour (« médiation -réparation », T.I.G., ... ).

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°364 ■ 12/09/1996